1ERE JOURNÉE - PROJECTION


À TROIS TU MEURS DE ANA MARIA GOMES

discussion avec Ana Maria Gomes, artiste et cinéaste, s’intéresse au rôle de la fiction dans la construction des identités personnelles et au jeu de représentation au moyen de la caméra. 


Ana Maria Gomes raconte la genèse du film À trois tu meurs. Il est issu d’une commande du GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques) qui a proposé à dix artistes et réalisateurs de travailler sur l’idée de la première image. Ana Maria Gomes s’est souvenue des prémices de son envie de filmer et de son rapport à la caméra : quand elle était adolescente, il lui arrivait de prendre une caméra et de regarder ce qu’elle était en train de filmer comme si cela appartenait déjà au passé. À partir de là, elle s’est demandé si elle ne pouvait pas prendre le contrepied de cette idée de première image, en proposant un film qui au contraire mettrait en scène la dernière image… tout en intégrant une dimension primitive du cinéma, des images sans paroles.

 Voir un extrait de A trois tu meurs de Ana Maria Gomes


 

Ce projet en tête, elle s’est tournée vers le milieu scolaire pour le réaliser, mais cela a été difficile. C’est grâce à l’appui d’une enseignante de français, qui a finalement coordonné le projet, qu’un établissement a fini par répondre positivement à sa demande. La présentation du projet aux parents des adolescents était un point délicat. Quand elle expliquait qu’ils allaient mettre en scène la mort pour la caméra, elle se rendait compte que le mot « mort » ne passait pas. Elle a donc formulé les choses autrement, en parlant de chute, de chorégraphie. Le fait est que, pour les adolescents, la mort est encore un jeu, mais pas pour les adultes. C’est une dimension qu’elle a intégrée dans le film qui, finalement, comporte quelques paroles et joue sur un décalage entre l’imaginaire de la mort et son exécution, une manière de dédramatiser ce qui se joue à l’écran.  Il était également intéressant de saisir l’écart entre l’intention et ce que le corps peut produire.

 

ÉCHANGES AVEC LA SALLE

Une spectatrice demande à Ana Maria Gomes comment elle s’y est prise avec les adolescents, individuellement et collectivement.

Ana Maria Gomes leur demandait d’imaginer une mort, sans lui dire laquelle. Elle déclenchait la caméra, puis, pour lancer l’action, elle leur faisait un signe après un temps de latence. Ce temps « creux », avant le passage à l’acte, était très intéressant, elle le laissait donc souvent durer. Ayant remarqué que les élèves plus âgés n’aimaient pas trop agir sous le regard des autres, elle les a filmés individuellement, ou en petits groupes de deux ou trois. Les plus jeunes, eux, s’amusaient beaucoup lorsqu’ils étaient plusieurs devant la caméra.

Leur a-t-elle suggéré certaines actions ?

Ana Maria Gomes précise qu’il s’agit d’un travail documentaire, les idées sont donc celles des élèves. Certaines étaient très spectaculaires, héroïques. Même s’il y a eu des discussions préalables au tournage, dont ils se sont parfois inspirés, de manière générale, elle a essayé d’intervenir le moins possible.

Une spectatrice remarque que, dans cette mise en scène de leurs corps, les filles apparaissent davantage en retrait que les garçons.  

Ana Maria Gomes partage ce constat et précise qu’elle n’a pas cherché à transformer cela au moment du tournage car, ce qui l’intéressait, c’était de voir ces adolescents tels qu’ils étaient. Elle souhaitait filmer de jeunes adolescents, tout juste sortis de l’enfance, à un âge où ils commencent à se regarder. Il est arrivé que certains d’entre eux ne jouent rien, mais elle ne l’a pas toujours gardé au montage. À l’inverse, elle se souvient d’une mort particulièrement réaliste que, là aussi, elle a choisi de ne pas conserver. Elle ne voulait pas casser la tonalité du film qui fonctionne en grande partie sur le jeu qui se met en place entre le spectateur et ce qui se passe à l’écran.

Y a-t-il eu plusieurs prises ? Des répétitions ?

Ana Maria Gomes : les adolescents n’ont jamais répété. Les consignes étaient strictes : ils devaient rester dans l’axe de la caméra, afin de regarder la mort en face. C’est elle qui décidait du nombre de prises : tant qu’elle ne leur disait pas d’arrêter, ils devaient continuer à jouer. Il arrivait que la première performance ne soit pas convaincante. Ana Maria Gomes était aussi intéressée par l’idée de répétition, un mode d’action qu’ils expérimentent à travers les jeux vidéo, où on peut mourir plusieurs fois.

Le tournage a-t-il eu lieu en milieu scolaire ?

Ana Maria Gomes : le tournage s’est déroulé au sein de l’établissement, sur une journée. Le film a été montré une fois dans le collège, mais il ne s’agit pas d’un projet scolaire : il était destiné aux festivals et aux centres d’art. Les adolescents n’ont pas cessé de rire durant toute la projection du film où ils se voyaient en train de mourir. Le comique naît du fait qu’ils sont sur un fil entre la maladresse burlesque et quelque chose de plus grave et incertain, qui a à voir avec le fait qu’il est question de la mort.


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