2E JOURNÉE - PRÉSENTATION

Démarches originales de création à plusieurs

avec Maxime Martinot et Benjamin Hameury, réalisateurs et membres du Collectif COMET, Le Collectif Les Scotcheuseset Olivier Bosson, réalisateur de TropiqueLe Forum des rêves et Dents de scie.

Après-midi animée par Louis Séguin, réalisateur et critique de cinéma aux Cahiers du cinéma.


Qu’est-ce qui pousse à créer de manière collective ? Circulation des idées et des savoirs, croyance dans la complémentarité des individus et de leurs talents créatifs, urgence à rendre compte ensemble d’une réalité sociale, invention de modèles alternatifs de production... Plusieurs cinéastes, qui profitent souvent de la souplesse de production offerte par les outils numériques, viennent parler de leurs démarches de création.

Louis Séguin introduit la table ronde en rappelant que, si le cinéma est intrinsèquement un art collectif, la notion de collectif désigne une façon de travailler ensemble et de produire des films, voire une expérience et un modèle de vie en communauté dont on retrouve une trace dans les films.

Les Scotcheuses se présente comme un collectif fondé autour d’une pratique du cinéma en super-8 qui s’intéresse aux lieux de lutte avec des personnes en lutte. Elles revendiquent une façon de faire des films « à l’horizontale ». Leur premier film, Le bal des absent.es (2013), a été tourné dans les Landes lors d’une fête des morts. D’autres films ont suivi, réalisés dans le Tarn et dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Le Collectif COMET est quant à lui né de la classe préparatoire Cinésup à Nantes. Le profil des membres est donc plus sélectif. Au départ, explique Maxime Martinot, l’objectif était de faire des films qui ne pouvaient pas être réalisés dans le cadre de la prépa : il ne s’agissait pas de constituer un collectif mais plutôt de réunir des affinités, des amitiés, pour concrétiser des projets. L’initiative a ensuite évolué vers l’envie de créer une structure de production pour faire des films plus ambitieux. Tous les films ont impliqué un nombre très important de participants, notamment pour permettre leur financement, et le projet a pris une ampleur difficile à contrôler. Louis Séguin fait remarquer la polyvalence des membres du collectif COMET : on retrouve les mêmes noms d’un générique à l’autre mais à des postes différents.

Olivier Bosson a pour sa part, réalisé des films avec des castings très importants, réunissant plusieurs centaines de personnes, toutes retenues pour le projet final. Ses films de fiction ont la particularité de réunir de nombreux acteurs pour interpréter peu de personnages principaux et donnent à voir des logiques sociales.

 

Extrait de Tropique d’Olivier Bosson (2015)  

© Tropique d’Olivier Bosson (2015)

 Regarder la bande-annonce de Tropique

La narration de Tropique fonctionne selon un système d’enchâssement, de poupées russes : le film met en scène des gens qui se fabriquent leurs propres histoires.

 

Extrait du making of de L’Arche russe d’Alexandre Sokourov

© L’Arche russe d’Alexandre Sokourov

Benjamin Hameury revient sur cet extrait où l’on découvre ce qui se passe après la prise du plan-séquence qui constitue le long métrage de Sokourov.  C’est un exemple assez fascinant de ce que peut être le collectif au cinéma. Il faut parvenir à créer son propre langage et, avant cela, ses propres règles du jeu, à l’opposé d’une sorte de tyrannie auteuriste contre laquelle les collectifs se positionnent.

Le DVD des 4 films des Scotcheuses contient l’enregistrement d’une discussion très instructive pour appréhender leur façon de travailler. Les décisions sont prises lors de discussions collectives, avec les personnes présentes à ce moment-là, et elles concernent toutes les étapes de l’écriture à la projection en passant par le tournage, le montage… Il n’y a pas trop de disparités entre les savoir-faire, avec l’envie de la part de ceux qui savent de transmettre et l’envie de ceux qui ne savent pas d’apprendre. Cette notion de partage se déploie dans tous les domaines, y compris la cuisine : « On se fait la bouffe, on répare des toitures et on fait des films ! » Faire ensemble en autogestion prend évidemment du temps mais c’est un choix assumé qui implique une certaine logistique. Et si les membres du collectif ne vivent pas ensemble (ils habitent dans différentes régions de France), ils se retrouvent régulièrement.

Leur prochain film sera tourné dans la Meuse, sur le site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure. Le collectif crée des synergies sur le territoire. Par exemple, ses membres ont effectué des travaux chez l’habitant. Il faut penser toute une organisation au quotidien.

Selon Maxime Martinot, on ne peut pas dissocier la question du collectif et celle du/des lieu(x). Il apprécie beaucoup la façon dont les Scotcheuses laissent leur marque dans les lieux où elles travaillent. A ses yeux, il est important d’« apprendre à désapprendre » notre rapport au savoir et à la technique. Dans le cinéma collectif, on constate beaucoup d’apports en nature et en moyens de production. Cela passe souvent par les circuits étudiants. Le Fonds de Solidarité et de Développement des Initiatives Etudiantes de Paris 8 permet par exemple le financement de projets culturels hors projets scolaires.

Olivier Bosson précise qu’il existe effectivement toutes sortes de financement, notamment dans le champ de l’art contemporain et de l’action culturelle. Lorsque Tropique a reçu l’Aide au film court du Département de la Seine-Saint-Denis coordonnée par Cinémas 93, il s’agissait du premier financement relevant véritablement du secteur cinématographique

 

Extrait de 200 % d’Olivier Bosson

©200 % d’Olivier Bosson

Olivier Bosson revient sur ses méthodes de travail lors d’un tournage. En premier lieu, il organise des castings où tout le monde est accepté, l’envie de jouer suffit pour être retenu. Les castings traditionnels fonctionnent selon des principes de sélection qu’il récuse. Il considère la fiction comme une possibilité d’accéder à une zone de liberté et c’est dans cette perspective qu’il considère que tous les personnages sont producteurs de « petites choses culturelles » qu’il va intégrer dans ses films. Ça l’intéresse de montrer comment les gens fabriquent eux-mêmes de la culture, en inventant par exemple des pas de danse ou toute autre petite création personnelle. Le film devient alors un miroir de nos pratiques sociales.

 

Extrait du film Les voisins de Benjamin Hameury

© Les voisins de Benjamin Hameury

 Regarder un extrait du film Les voisins

Benjamin Hameury a grandi dans le quartier que l’on voit dans le film. Il s’est interrogé sur la façon de rassembler les gens du quartier en faisant un film, en racontant une histoire. Sa rencontre avec chacun de ses voisins lui a inspiré des personnages et le film a été écrit avec eux. La pratique du cinéma est ainsi à l’origine de moments de vie collectifs : « je trouve cela très beau qu’un film puisse être prétexte à la rencontre, à un idéal de vie commun. » Louis Séguin fait remarquer que le collectif est aussi à l’écran : le personnage principal du film, c’est la communauté, ce qui va à rebours d’une forme de narration individualiste.

Dans No ouestern réalisé par les Scotcheuses, les moments de figuration sont de grands moments de fête, mais ce ne sont pas pour autant les grands moments de rencontre, de plaisir, de partage, qu’elles espéraient au départ. « Ça pose aussi les limites de l’esthétique collective ». Il faut savoir « vivre les choses comme le collectif les définit ».

 

La diffusion des films

Louis Séguin aborde la question de la diffusion des films et interroge les participants sur la possibilité d’inventer là aussi autre chose.

Olivier Bosson a créé de nombreuses sortes d’objets filmiques avec des significations-fonctions variées, des projets qui s’inscrivent pleinement dans la logique du numérique. C’est le cas du Forum des rêves, une série composée de 10 épisodes de 20 minutes dans laquelle les protagonistes peuvent enregistrer leurs rêves sur leur téléphone portable et les partager sur une plateforme internet en forme de « forum de discussion vidéo ». Elle a été réalisée lors d’une succession de tournages internationaux (en France, à Cuba, au Maroc, au Canada, en Belgique, au Luxembourg... ) avec 200 acteurs et des dizaines de figurants pour jouer les dreameurs et les contributeurs du Forum. La série a été diffusée sur internet et fait l’objet d’un faux site , « La plateforme des dreameurs », qui réunit toutes les vidéos du film sous forme de 10 topics. Olivier Bosson fait par ailleurs remarquer que l’édition de films en DVD est formidable car cela permet d’offrir des objets. Il faut penser les perspectives de diffusion des films selon différentes dimensions.

La projection de No ouestern des Scotcheuses a été le fruit d’un processus qui a duré un an. Elle a eu lieu en présence de 200 personnes dans une grange qui venait d’être occupée, sur des bottes de paille, avec des frites préparées avec les pommes de terre plantées pour les besoins du film. La projection en super 8 est fragile, le film super 8 lui-même est fragile. Cela crée une émotion particulière. « On aime créer des moments, inventer des stratagèmes pour diffuser nos films en dehors des circuits ». Dans la Meuse, cadre de leur prochain film, il est déjà prévu de faire la tournée des villages. Pour s’affranchir des circuits classiques, les Scotcheuses ont constitué avec d’autres collectifs (parmi lesquels Synaps) un kit de projection mobile utilisable pour toute projection non commerciale. Ces inventions « entre gens qui galèrent » leur permettent une véritable autonomie.

Un membre du collectif Synaps revient sur la question de la diffusion. En 2010, Synaps a créé sa propre structure de diffusion itinérante, Le Cinéma Voyageur, porté par l’envie de partager les films produits par le collectif mais aussi des coups de cœurs. Le Cinéma Voyageur programme des auteurs qui ont une démarche de libre diffusion (Art libre, copyleft, creative commons) ainsi que certains « OVNI » qui n’ont pas leur place dans les salles de cinéma classiques. Il voyage pendant les trois mois estivaux, sans subvention. L’accès pour tous est favorisé par des séances uniquement à prix libre. Le collectif s’est constitué autour d’anciens étudiants. Leurs films sont sous licence libre pour en favoriser le partage et disponibles en DVD sur la boutique en ligne du collectif, mais aussi dans certaines librairies et en médiathèques à travers la distribution de Colaco et l’ADAV. Enfin, le collectif mène des actions de formation à destination de différents publics.

Isabelle Boulord, Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, remarque que les cinéastes ici présents parlent d’endroits assez différents. Les Scotcheuses sont militantes. Olivier Bosson vient de l’art contemporain participatif et n’utilise pas le même registre lexical. Quant au collectif Comet, on se demande s’il ne s’agit pas seulement d’une mutualisation de moyens. Comment l’argent est-il réparti ? Ses membres ont-ils des sujets ou un axe artistique en commun ?

Maxime Martinot répond qu’ils tentaient en effet de mutualiser au maximum les aides reçues, mais il s’agissait moins d’argent que de matériel et de compétences. Benjamin Hameury ajoute que la question d’une ligne artistique commune s’est posée, mais elle ne peut pas répondre à la grande diversité formelle des projets dont les techniques de tournage vont du 16mm à la miniDV. Il n’y a pas de réelle logique esthétique commune, pas de style commun. Ce qui, in fine, fait objet commun, c’est le geste de faire des films et la volonté de constituer une « troupe », ce qui existe assez peu au cinéma.

Gabriel Bortzmeyer questionne Olivier Bosson sur le processus d’écriture des scénarios de ses films : s’agit-il d’un processus d’écriture collective ?

Olivier Bosson répond que l’un des enjeux de la dimension participative de ses films est la responsabilité d’exprimer d’autres points de vue que les siens, précisément les points de vue de ceux qui sont représentés dans ses projets. Concernant l’écriture, il est rare d’avoir du temps. Or il en faut pour travailler avec les gens. Les dialogues de l’extrait de 200 % sont, par exemple, le résultat d’un atelier philo d’une semaine animé avec les enfants qui jouent dans le film. Il précise par ailleurs qu’il ménage toujours une phase où il discute avec des personnes qu’il rencontre, sans but précis si ce n’est de se renseigner « à la sauvage ». Dans un second temps, il se consacre à la documentation.

Les Scotcheuses évoquent, dans la lignée du travail collectif et participatif décrit par Olivier Bosson, les « ateliers urbains » du Centre vidéo de Bruxelles. Les Ateliers Urbains sont une collection de travaux, entamée en 2010 et réalisée avec des habitants de Bruxelles, sous forme de films, d’expositions, de journaux, avec pour ambition de développer une forme d’éducation permanente. Les intervenants animent un atelier par semaine pendant 6 mois.

Maxime Martinot clôt la table ronde en expliquant qu’une fois par an, des rencontres regroupant les collectifs sont organisées. La dernière a eu lieu à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes pendant les expulsions. L’Abominable, l’association Mire de Nantes, le Polygone étoilé de Marseille y ont participé. Cela donne au réseau une ampleur assez nouvelle.