Le temps des ateliers

Les paysages urbains se redessinent à la lumière du passé : images d’archives et ateliers de création audiovisuelle.

 

Quand l’archive la plus locale, de la carte postale ancienne au film de famille, redevient un support d’expression contemporain : présentation d’ateliers de création audiovisuelle (en temps scolaire et hors temps scolaire), dont les modalités et les enjeux croisent la notion d’archive avec celle du territoire.

Animé par Xavier Grizon, responsable des actions éducatives à Cinémas 93.

Participants :

Paul Costes a suivi des études de persan et de cinéma à Paris. Depuis 2002, il réalise des films documentaires et de fiction (Cendres, Les murs ont des visages, La Chambre bleue). Ses films ont parcouru de nombreux festivals : Cinéma du réel, FID de Marseille, Festival de Clermont-Ferrand

Bijan Anquetil a suivi des études de philosophie et d’anthropologie visuelle avant de réaliser une série de documentaires en Iran, ainsi que La Nuit Remue, Grand Prix au FID de Marseille en 2012. Il signe également Le Terrain (2013) sélectionné dans de nombreux festivals.

En 2013 Paul Costes et Bijan Anquetil initient à Montreuil un atelier de réalisation documentaire autour de la carte postale cinématographique coordonné par Cinémas 93. Cet atelier a depuis lors essaimé dans d’autres villes de la Seine-Saint-Denis.

Pauline Boucharlat est chargée des publics scolaires, de la formation des enseignants et des projets innovants au sein du service éducatif du Jeu de Paume. Elle est en outre chargée de cours en conception et direction de projet culturel à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 au sein de l’UFR Art et médias.

Mathilde Engélibert a suivi une formation en direction de projets culturels avant de coordonner le festival Curt Ficcions à Barcelone et les Rencontres cinématographiques de la Seine-Saint-Denis. Elle a également piloté des projets de coopération franco-espagnole autour du court métrage et exercé en tant que programmatrice. Elle est actuellement chargée d’action culturelle au cinéma municipal L’Etoile à La Courneuve.

Julie Guillaumot est archiviste, spécialiste des collections audiovisuelles. Entre 2006 et 2012, elle a participé à la création du pôle Patrimoine de Ciclic puis a dirigé, de 2012 à 2015, le service territorial d’archives cinématographiques et audiovisuelles en région Centre-Val de Loire au sein de la même structure. A ce titre, elle a initié, mis en œuvre et suivi de nombreuses actions de valorisation de collections de films amateurs anciens en direction de tout type de publics. 

Sima Khatami est artiste plasticienne et réalisatrice (Bonhomme de vent, Flowers I see you). Elle a encadré deux ateliers autour de la carte postale cinématographique dans une classe de 4e à Livry-Gargan.

Amandine Larue est responsable cinéma à l’Espace Georges Simenon à Rosny-sous-bois, poste qu’elle a rejoint après avoir été responsable des actions de réseau et de la communication au sein de l’association Cinémas 93 pendant sept ans.

Introduction


Xavier Grizon rappelle que cette matinée s’inscrit dans la continuité des précédentes journées professionnelles au cours desquelles avaient été abordées :

- les nouvelles manières de travailler sur le cinéma en ateliers (édition 2013),

- les propositions d’ateliers conçus spécifiquement pour les primo-arrivants (édition 2014).

La question des images d’archives suscite un intérêt certain. Pour preuve, le dernier numéro d’Upopi (Université Populaire des Images), "Archives, mon beau pays ", porte sur le sujet abordé dans le cadre de ces journées professionnelles. A noter également que les dernières rencontres nationales Passeurs d’images (17-18-19 décembre 2015) se sont articulées autour des « Traces de la ville ».

On assiste par ailleurs à une présence de plus en plus importante de l’archive dans les projets pédagogiques, conséquence de la disponibilité de ces images sur Internet. Les images d’archives locales, familiales ou amateures font également l’objet de collectes. C’est dans ce contexte que se tient le Festival du film de famille au mois de novembre à Saint-Ouen.

 

Le projet « Cartes postales audiovisuelles »

Le projet

« Cartes postales audiovisuelles », conçu par les cinéastes Bijan Anquetil et Paul Costes, a été développé en partenariat avec Cinémas 93 et le Département de la Seine-Saint-Denis. Des ateliers ont été menés dans plusieurs villes : à Montreuil et à Livry-Gargan sur le temps scolaire (avec la participation du Jeu de Paume), à Rosny-sous-Bois, à Saint-Ouen et à La Courneuve sur le hors-temps scolaire.

Bijan Anquetil présente le projet. Les participants ont été invités à mener une enquête à partir de cartes postales anciennes. Ils sont retournés sur les lieux pour comparer, via le son (témoignages enregistrés) et l'image (prises de vue actuelles du quartier), le passé et le présent. Le projet articule une réflexion sur l'image d'archive fixe et animée pour interroger l'histoire d'une ville et sa représentation.


Ecoutez Bijan Anquetil présenter le projet

 

 

Plutôt que de valoriser les origines de chacun des participants, Bijan Anquetil et Paul Costes trouvaient pertinent de les rassembler autour d’un lieu qu’ils partagent et de travailler sur son histoire collective. Vincent Merlin (Cinémas 93) précise que la carte postale contient en elle-même l’idée de série et que le pari a été de constituer progressivement une collection en lien avec l’identité propre de la Seine-Saint-Denis, que cela fasse sens d’une commune à l’autre. 

 

 

Ces films ont en effet été conçus pour pouvoir être programmés en salle de cinéma, dans le cadre du dispositif d’avant-séances Quartier libre , avec un enjeu de qualité supérieure à ce qui se fait habituellement en ateliers. Pour cela, il a été nécessaire de trouver des modes d’accompagnement et des financements spécifiques.

Visionnez une sélection de cartes postales audiovisuelles

 

L’accompagnement

Sima Khatami, Bijan Anquetil et Paul Costes prennent la parole pour revenir sur la genèse et le déroulement des ateliers qui ont déjà eu lieu en Seine-Saint-Denis. Le point de départ consistait à partir de cartes postales représentant des territoires de la banlieue parisienne dans les années 1900. Bijan Anquetil explique que la conception de chaque carte postale audiovisuelle a impliqué un travail d’enquête documentaire et un travail sur le cinéma (sur les vues Lumière, sur le son…). Avec chaque groupe, il a fallu trouver une écriture et un mode opératoire différents.


Ecoutez Paul Costes présenter le déroulement des ateliers

 

Selon Bijan Anquetil, le plaisir procuré par le travail sur les archives consiste en premier lieu à les trouver. Avec Internet, les choses sont plus faciles, mais cela n’exclut pas de faire un travail de recherche. La classe de Montreuil s’est ainsi rendue au Musée de l'Histoire vivante de la ville qui possède un fonds de cartes postales. Même démarche aux Archives communales de Saint-Ouen et à la médiathèque, où l’on peut apprendre comment on gère, comment on classe des documents.

 

Atelier mené à la Courneuve 


Ecoutez Mathilde Engélibert à propos de l’atelier de La Courneuve.

 

Le groupe de participantes à l’atelier était composé de sept femmes. Pour les recruter les participantes, L’Etoile s’est rapproché de l’association ARBNF (Association des Ressortissants de la Boucle du Niger en France). Ce projet était détaché de ce que propose habituellement le cinéma et les participantes ne le fréquentaient pas du tout. Il avait néanmoins du sens car L’Etoile est très impliqué sur le territoire. Parmi les sept participantes, deux sont revenues d’elles-mêmes pour assister à des séances à L’Etoile.

Atelier mené à Rosny-sous-bois

Concernant l’atelier mené à Rosny-sous-Bois, l’objectif était double. Amandine Larue précise que le cinéma a ouvert il y a seulement deux ans et demi, à l’intérieur d’un théâtre. Plutôt que d’aller chercher des participants par l’intermédiaire d’une association, la salle s’est adressée directement à ses spectateurs. Trois ont répondu présents, deux femmes d’une cinquantaine d’année et une adolescente.

Le second objectif concernait plus directement le développement du cinéma à travers un travail documentaire sur le centre-ville. Rosny est surtout connu pour son centre commercial et son multiplexe, mais la ville a une véritable histoire. Le travail de recherche en lien avec les Archives municipales et le Musée de l’histoire de Rosny-sous-Bois l’atteste.


Le partenariat avec le Jeu de Paume

L’équipe du Jeu de Paume a accompagné certains ateliers de cartes postales audiovisuelles. Pauline Boucharlat revient sur les raisons de ce partenariat. L’éducation à l’image est un axe prioritaire du Jeu de Paume, qui n’est pas seulement un musée mais aussi un centre d’art et un lieu dédié à l’image mécanique où l’on s’interroge sur les contextes de production, de diffusion et de réception de ces images. Pour ce faire, l’outil privilégié reste le langage, il s’agit de voir ensemble des œuvres, d’en parler, d’échanger et d’argumenter. Le travail pédagogique est fait en étroite collaboration avec les accompagnants, structures, artistes ou enseignants, dans le cadre de partenariats. Chaque visite d’une exposition est conçue en fonction des classes. Les équipes se déplacent aussi dans les établissements scolaires.

Pauline Boucharlat tient à préciser qu’au-delà de la réalisation, c’est le processus de travail qui fait que l’expérience a lieu, en s’appuyant sur des compétences et des ressources du territoire.

 

Ecoutez Pauline Boucharlat évoquer le processus de travail et les enjeux de l’expérience.

 

Selon Xavier Grizon, cette expérience dépasse en effet le cadre du simple atelier, elle relève plutôt de la réalisation de films amateurs avec une supervision technique.

Question : Les cartes postales réalisées à Rosny-sous-Bois et à Saint-Ouen échappent au « c’était mieux avant ». On sent une intimité entre la personne qui pose les questions et ceux qui répondent.

Paul Costes répond qu’il s’agit là de la qualité documentaire, du sésame de l’exercice. Une des participantes de Rosny connaissait beaucoup de monde, elle était très bien placée pour écouter les gens. A Saint-Ouen, la digression autour de l’idée de repas est venue parce qu’une participante a apporté un ancien menu de restaurant. Pauline Boucharlat relève que, pour certains élèves de Livry-Gargan, ce n’était pas mieux avant : l’un d’eux préfère l’autoroute à l’ancienne place pavée.

 

Ateliers menées par le pôle Education à l’image et le pôle Patrimoine de Ciclic (Agence régionale du Centre-Val de Loire pour le livre, l’image et la culture numérique)

 

Le pôle Patrimoine de Ciclic

Xavier Grizon donne ensuite la parole à Julie Guillaumot et Xavier Louvel afin qu’ils décrivent les missions du pôle Patrimoine de Ciclic et les actions pédagogiques menées pour valoriser son fonds d’archives.

Le pôle Patrimoine de Ciclic a été créé en 2006. Il est chargé de collecter, de valoriser et de conserver les films tournés sur ce territoire. En 2010, le site « Mémoire » a été mis en ligne avec 70 % des films déjà collectés, soit près de 10 000 films. Ces films, sous droits, constituent un réservoir potentiel de travail sur la région mais aussi pour les actions d’éducation à l’image.


Concernant plus précisément les questions juridiques liées aux films amateurs, les choses sont beaucoup plus simples que pour la fiction classique car ils n’ont qu’un seul auteur. Ciclic fait signer deux documents : un contrat de dépôt pour le volet conservation du support (les propriétaires déposent leurs films originaux) et une convention de cession de droits à titre exclusif. La cession des droits patrimoniaux est très extensible dans ce contrat mais il peut y avoir une série d’annexes prenant en compte les préconisations spécifiques des ayant-droits. Par exemple, certains refusent que leurs films intègrent la banque d’images disponibles pour des productions audiovisuelles. En revanche, aucun cinéaste ne s’oppose à des actions à visée pédagogique. La seule question qui peut se poser alors concerne l’accord des personnes filmées à l’époque. Julie Guillaumot donne l’exemple d’une personne opposée à la diffusion de son film de mariage.

 

D’autres structures collectent des films anciens comme Cinéam en Essonne. Un documentaire de création intitulé Ils ont filmé les grands ensemble a été réalisé à partir de ce fonds d’archives.

 

Les séances de projection d’archives


Ecoutez Julie Guillaumot décrire la projection d’images d’archives lors de séances itinérantes en région Centre-Val-de-Loire

 


Quelques exemples d’ateliers menés par Ciclic

Le site « Mémoire » est un site de consultation. Si des projets d’ateliers naissent sur un territoire, sur une commune, on peut contacter le Pôle Education à l’image de Ciclic pour les animer. Le pôle Patrimoine peut également mettre des images d’archives à disposition des structures qui en font la demande dans le cadre de leurs actions pédagogiques. « Nous tenons à contrôler un minimum ce qui est fait avec les images » précise Julie Guillaumot.

 

 

 

Ecoutez Julie Guillaumot présenter les actions pédagogiques menées par CICLIC autour des archives avec les enfants, en particulier les plus petits.

 

De la création artistique à l’atelier pédagogique

En 2013, un projet d’écriture a rassemblé plusieurs auteurs autour d’un corpus d’images d’archives monté sous forme de court métrage. L’enjeu consistait à écrire des textes destinés à être utilisés comme voix-off. L’écrivain Tanguy Viel, qui a participé au projet, a à son tour mené un atelier avec les usagers d’une médiathèque à qui il a demandé le même travail.

- Une collaboration a également été imaginée avec le plasticien et réalisateur Léo Favier autour de son film Kinoki. En échange de la mise à disposition de films amateurs tournés par un cinéaste du Berry - que Léo Favier utilise comme matière première de Kinoki – le réalisateur s’est engagé à assurer des interventions et des ateliers sur le territoire avec des classes et/ou des habitants.
 

Ateliers adaptés à tous les publics

Les ateliers de sonorisation d’images d’archives sont simples à mettre en œuvre sur quelques heures ou davantage, qu’ils soient conçus autour du bruitage (pour des groupes d’enfants, d’adolescents ou d’adultes) ou de la prise de son. La création d’une bande-son aiguise le regard que l’on porte sur les images car elle implique que l’on examine très attentivement le document filmé.

 

Actions à l’université

Ciclic a pendant un temps mis en place des actions à l’Université : autour de l’archive avec le cinéaste et plasticien Jean-Gabriel Périot, et autour du montage avec Augustin Gimel, également cinéaste et plasticien, qui interrogeait  plusieurs propositions de montage à partir des mêmes images.

 

Ateliers sur les intertitres

Pour les publics plus jeunes, des ateliers sont organisés dans le cadre de Passeurs d’images. La réalisatrice Amandine Poirson a par exemple encadré un groupe de six collégiens. Après une visite des archives de Ciclic à Issoudun, elle les a fait travailler sur une série d’exercices qui interrogeaient la notion de « silence des images ». Puis, à partir d’un film amateur montrant le retour de prisonniers en 1945, elle a demandé aux participants d’imaginer ce que les personnes présentes à l’image pensaient, l’objectif étant de créer des intertitres à insérer dans le film.
Pour visionner Le Retour du soldat.

On se rend compte qu’à travers ce travail de création, les archives sont interprétées et réinterprétées. Elles donnent matière à construction nouvelle d’une autre histoire.

 

Les traces du temps

 

Robert Poupart, archiviste aux Archives française du film du CNC, fait remarquer qu’avec Internet, on a désormais accès à de très nombreuses images d’archives numérisée et parfois « nettoyées ». Les « cartes postales audiovisuelles » comportaient, elles, des documents tachés et abîmés. Donner la perspective du temps en conservant ces défauts liés au temps qui passe est essentiel. Les images d’archives étant exposées sur Internet au même titre que les images immédiates, cette perspective temporelle a tendance à être d’autant plus ignorée. « Une des premières choses à faire serait de laisser la trace du temps ».

 

 

Julie Guillaumot ajoute que les images d’archives n’ont pas été conçues pour l’usage qu’on en fait aujourd’hui. Youtube est devenu prépondérant et les enfants nomment sans distinction « vidéo » toutes les images vues sur Internet. La question du vocabulaire est effectivement très complexe.

 

Synthèse rédigée par Suzanne Hême de Lacotte (Les Sœurs Lumière)
Crédits photos : Emmanuel Gond
sauf : Carte postale Rosny-sous-Bois (copyright : Cinémas 93 et Dana Films), logo "Mémoire" (copyright : Ciclic), photographie d'atelier Jeu de Paume (copyright : Jeu de Paume), atelier mené à Ciclic et Kinoki (copyright : Ciclic), Carte postale de La Courneuve (copyright : Cinémas 93 et Dana Films)