APRÈS-MIDI - CRÉATION CINÉMATOGRAPHIQUE

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Création cinématographique

Filmer l’enfance aujourd’hui : approches croisées dans le documentaire et la fiction

en partenariat avec Périphérie - centre de création cinématographique 


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> CONFÉRENCE
par Nicolas Livecchi, docteur en cinéma

>  CONVERSATION ENTRE CINÉASTES
avec Alexe Poukine et Grégoire Perrier

> PRÉSENTATION
La collection Terrains de jeux de Périphérie


CONFÉRENCE

L’enfant acteur à l’âge moderne : le cinéma contemporain dans les pas de Spielberg et Doillon

par Nicolas Livecchi, docteur en cinéma et auteur de L'enfant acteur. De François Truffaut à Steven Spielberg et Jacques Doillon (Les Impressions Nouvelles, 2012)

SYNTHÈSE DE LA CONFÉRENCE
rédigée par Nicolas Livecchi 

La conférence commence par la projection de trois extraits : L’Argent de poche de François Truffaut (1976) ; Ponette de Jacques Doillon (1996) ; La Guerre des Mondes de Steven Spielberg (2005). Tout l’enjeu de la conférence est de montrer comment on a pu passer d’un style de jeu particulièrement rudimentaire (la petite fille de L’Argent de poche) à la complexité d’interprétation des émotions chez Doillon (Victoire Thivisol qui joue la tristesse dans Ponette) et chez Spielberg (Dakota Fanning qui joue la peur dans La Guerre des Mondes).

La direction d’acteur appliquée aux jeunes comédiens ne va pas de soi. Pendant des décennies, le cinéma s’est contenté de capter l’enfance de manière soit documentaire, soit artificielle – usant le plus souvent de la triche et de la manipulation. À partir des années soixante-dix, sous la double influence des méthodes de jeu de l’Actors Studio et des découvertes en matière de psychologie enfantine, deux grands cinéastes de la même génération, Steven Spielberg et Jacques Doillon, vont entamer en parallèle (et ce bien qu’évoluant dans des industries et des univers cinématographiques radicalement différents) une révolution de la direction de l’enfant acteur. Ils vont offrir à celle-ci un cadre innovant – considération de l’enfant comme individu à part entière, prise en compte de sa spécificité psychique, instauration d’une nécessaire éthique dans le rapport cinéaste-comédien – et plonger l’enfant acteur dans une modernité du jeu.

Avant eux, on pouvait distinguer quatre méthodes « primitives » de direction des enfants au cinéma :
> Le filmage « documentaire », consistant à laisser l’enfant évoluer librement devant la caméra (la méthode de Maurice Pialat dans Le Garçu).
> La manipulation, en vue d’obtenir à l’insu de l’enfant le résultat recherché – par exemple pour le faire pleurer : provoquer les larmes en annonçant à la petite Shirley Temple que sa maman a eu un accident de voiture (tournage de Little Miss Marker) ou en déchirant une photo que l’enfant aimait bien (Abbas Kiarostami sur le tournage de Où est la maison de mon ami ?).
> Le trucage et les effets de montage (via l’utilisation du champ/contrechamp notamment), comme Truffaut pour L’Argent de poche qui a recours parfois à des images figées pour faire durer une expression ou une mimique.
> Le mimétisme, c’est-à-dire montrer à l’enfant les gestes qu’il doit répéter ensuite (la méthode de Truffaut sur L’Enfant sauvage).

François Truffaut est un des premiers cinéastes à revenir fréquemment vers l’enfance dans sa filmographie. Mais il avoue lui-même qu’il ne dirige pas ses comédiens, a fortiori les enfants. L’Argent de poche est symptomatique de cette non-direction d’acteurs : le film est tourné dans le désordre le plus complet ; les plans sont courts et rapidement mis en boîte (deux ou trois prises en général) ; l’improvisation est privilégiée…

Truffaut reste néanmoins une figure tutélaire pour Doillon et Spielberg, qui assument tous les deux son héritage, et dont il va par ailleurs saluer les débuts (critiques élogieuses des Doigts dans la tête et de Duel). Il est également celui qui, sur le tournage de Rencontres du troisième type (qui suit celui de L’Argent de poche), va pousser Spielberg à aller davantage vers l’enfance : de leur rencontre sur ce film et de leurs discussions naîtra l’idée d’E.T.

Quand Doillon et Spielberg débutent leur carrière et commencent à filmer des enfants (avec Un sac de billes et La Femme qui pleure pour l’un, Les Dents de la mer et Rencontres du troisième type pour l’autre), tâtonnant tous deux dans leur méthode de direction d’acteur, ils arrivent à un double moment historique :
> Tout d’abord la vulgarisation des études psychologiques et psychanalytiques sur l’enfant et son développement cognitif qui se sont développées depuis l’après-guerre : le succès des émissions radio de Françoise Dolto s’inscrit ainsi dans le sillage des études de Jean Piaget ou d’Anna Freud. On reconnaît désormais à l’enfant une individualité à part entière ; on s’intéresse à son processus d’acquisition de la pensée, des sentiments, de la notion du temps…
> Puis la popularisation des méthodes de jeu de l’Actors Studio, elles-mêmes héritées des théories de Stanislavski, grâce au triomphe des deux premiers volets du Parrain de Francis Ford Coppola et l’émergence de nouvelles stars comme Al Pacino et Robert De Niro. À leur suite, le style de jeu hégémonique au cinéma n’est plus la simplification gestuelle (Delsarte) ou l’impassibilité tributaire du montage (Koulechov), mais devient une recherche constante du sentiment vécu à travers un travail d’introspection du comédien.

Spielberg et Doillon vont croiser ces deux approches et mettre au point une méthode de direction d’acteur spécifique et adaptée aux jeunes comédiens, dont voici quelques traits communs :
> Permettre à l’enfant d’avoir pleinement conscience de son rôle et de ce qu’il joue : en le préparant en amont du tournage ; en l’accompagnant par la parole pendant les prises (Doillon et Spielberg sont comme des coachs sportifs et parlent constamment à leurs comédiens).
> S’adapter à sa temporalité (l’enfant est dans le « maintenant ») et lui faciliter l’immersion dans la fiction en privilégiant le tournage dans la continuité.
> S’entourer d’une équipe de collaborateurs complices et à l’écoute.
> Ne pas avoir peur de l’aspect technique du tournage
et aider au contraire l’enfant à l’apprivoiser de manière à créer une distanciation entre son rôle et lui-même : les contraintes techniques (marquages au sol et plans-séquences chez Doillon, effets spéciaux chez Spielberg) se révèlent être un réel appui pour permettre à l’enfant d’accéder à l’art du jeu et au fameux « paradoxe du comédien » énoncé par Diderot.
> Au sein de ce cadre très contraignant, privilégier la spontanéité en refusant les répétitions.
> Stimuler l’imagination de l’enfant grâce à une mise en condition : par exemple, utilisation de l’accessoire « plâtre » pour permettre à la petite Victoire d’entrer dans son rôle de Ponette ou de la marionnette E.T. pour tenir la réplique à Drew Barrymore.

Leurs recherches vont infuser dans tout le cinéma contemporain. Aujourd’hui encore, on en retrouve la trace dans des films aussi divers que Tomboy (2011), Les Bêtes du Sud sauvage (2012), Amanda (2018), Les Misérables (2019), les films d’Hirokazu Kore-eda…


CONVERSATION ENTRE CINÉASTES

Alexe Poukine et Grégoire Perrier

Filmer l'enfance est une urgence qui travaille le cinéma depuis les frères Lumière et Le Repas de bébé. Comment saisir ce temps qui passe, cet âge où tout événement peut être une première fois et où tout est vécu avec intensité ? Avec Palma et Les MuesAlexe Poukine et Grégoire Perrier inventent chacun à leur façon des dispositifs pour placer leur caméra au plus près d'enfants, interrogeant le regard porté par les parents sur cet âge de tous les possibles. Les deux cinéastes dialogueront autour des stratégies de mises en scène qu'ils ont inventées, entre fiction et documentaire, pour capter quelque chose de cet âge et de la relation entre adultes et enfants. 

Discussion animée par Raphaëlle Pireyre, critique de cinéma (Bref, Trois couleurs, Cahiers du cinéma)

►ÉCOUTER L’INTRODUCTION DE LA RENCONTRE

PALMA d’Alexe Poukine

 

 

ÉCOUTER ALEXE POUKINE
> EXTRAIT 1 : NAISSANCE D’UNE ACTRICE
> EXTRAIT 2 : TOURNAGE AVEC UN ENFANT

 

LES MUES de Grégoire Perrier

 

ÉCOUTER GRÉGOIRE PERRIER
> EXTRAIT 1 : PASSER UN “CONTRAT”
> EXTRAIT 2 : RITUALISER UN TOURNAGE


PRÉSENTATION

la collection Terrains de jeux

La collection Terrains de Jeux, initiée par Périphérie et les Films du Tambour de Soie, propose d'explorer les territoires de l’enfance à travers huit courts métrages documentaires réalisés en Seine-Saint-Denis par un collectif de cinéastes et de producteurs.

avec Alexandre Cornu et Antoine Disle, producteurs aux Films du Tambour de Soie et Agnès Jahier, directrice de Périphérie.

La collection Terrains de jeux explore les territoires de l’enfance à travers huit courts métrages documentaires réalisés par un collectif de cinéastes et de producteurs réunis autour de Périphérie et des Films du Tambour de Soie.

Les réalisateurs et réalisatrices proposent, à partir de leurs propres questionnements et souvenirs d’enfance, de saisir et de rendre compte de l’intensité des émotions vécues à cet âge de la vie. Nous découvrirons l’enfance sous de multiples facettes, en suivant les jeunes protagonistes dans leurs déplacements, leurs explorations et leurs apprentissages.

La collection mettra en valeur des approches singulières. Néanmoins, un cadre géographique est posé : celui de la Seine-Saint-Denis, actuellement l’un des départements les plus jeunes et dynamiques en termes d’expérimentations sociales, culturelles et environnementales. Un territoire qui, à l’image des jeunes protagonistes, est en perpétuelle mutation.

Productions associées : Cellulo Prod, Sébastien Téot/ 5 à 7 films, Martin Bertier et Helen Olive/ Macalube Films, Anne-Catherine Witt/ Les Films du Bilboquet, Mathilde Raczymow et Eugénie Michel-Villette.

Cinéastes : Audrey Jean-Baptiste, Seb Coupy, Grégoire Korganow et Benoit Méry, Grégoire Perrier, Maud Pavé et Marion Vanmansart, Michèle Valentin et Laurent Roth, Isabelle Rèbre, Bernardo de Jeurissen.