COMMENT DÉTECTER ET ACCOMPAGNER LES TALENTS DE DEMAIN ?

 L’opération « Talents en court » du CNC

Le CNC a lancé l’opération « Talents en court » il y a quatre ans pour aider les nombreux porteurs de projets qui ne se sentent pas légitimes et qui ne savent pas, ou mal, comment aborder les systèmes d’aide, explique Morad Kertobi, responsable du département court métrage du CNC. Parallèlement, les institutions qui distribuent des aides, comme les Régions par exemple, se sont rendu compte qu’elles ne remplissaient pas complètement leur mission de départ : aider les jeunes cinéastes. Tout particulièrement dans le domaine du court métrage, lieu de rencontre, de détection, de recherche / développement.

Pour mémoire, le CNC propose quatre aides au court métrage :
- L’aide avant réalisation
- L’aide au programme
- L’aide après réalisation
- L’aide du fonds de soutien audiovisuel

Une attention particulière est portée aux auteurs émergents avec un groupe de lecture pour les premiers films, l’octroi d’une 2e chance « PSR » (« peut se représenter) au 1er tour, des aides à la réécriture et au tutorat au 2e tour, la motivation des avis artistique aux porteurs de projet… Quant à l’aide après réalisation, elle s’ouvre de plus en plus à l’autoproduction.
 

Toutefois, une étude sociologique sur les profils des candidats à l’aide avant réalisation a été réalisée il y a quelques années. Elle a montré une surreprésentation des Parisiens quadragénaires, issus des écoles de cinéma et ayant déjà une expérience professionnelle. Le dispositif classique des aides laisse donc du monde de côté.
 

C’est la raison pour laquelle une action de terrain a été expérimentée avec « Talents en court ». L’opération a pour objectif de favoriser la diversité sociale et culturelle et de répondre aux différents besoins de jeunes cinéastes autodidactes. Elle se base sur deux leviers d’action :

1/ L’articulation de plusieurs volets complémentaires :
 - La transmission d’expérience avec la scénariothèque, des lectures de scénarios et des études de cas
 - L’aide financière avec la Bourse des Festivals
 - La connexion professionnelle avec les forums de projets

2/ La mobilisation d’une diversité de partenaires :
 - Professionnels du cinéma et de l’audiovisuel
 - Acteurs socio-culturels
 - Institutions publiques
 - Organismes privés
 - Médias

Un stage pratique est proposé aux bénéficiaires de l’opération depuis un an et demi. Il s’agit de mettre le stagiaire en posture d’observation sur le tournage d’un film aidé au cours duquel il réalise un making-of ou un journal filmé.

Les futurs cinéastes doivent être bien conscients qu’au-delà de la démarche d’écriture, il leur faut aller chercher l’information, s’ouvrir, trouver des relais et ne pas tenter tout de suite les aides au niveau national, trop embouteillées.

 

► Le témoignage de deux jeunes réalisateurs :


Ecoutez le témoignage de Maïmouna Doucouré

 

Quant à Djigui Diarra, il avait eu vent du CNC mais considérait que ce n’était pas pour lui, ne se sentant pas assez mûr, pas assez légitime pour y prétendre sans avoir rien fait auparavant. Sa première porte d’entrée dans le cinéma a été ouverte par l’association 1000 visages qu’il avait repérée en regardant l’émission TV Histoires courtes et à la lecture du Parisien. Ce sont « ces associations qui essaient de donner des réponses à des questions ».

 

 La Résidence de La Fémis


Florence Auffret rappelle qu’il existe depuis plusieurs années une formation « Egalité des chances ». Cette formation accueille des participants à trois reprises sur une période d’une semaine pour leur faire découvrir les métiers du cinéma et les inciter à se préparer au concours d’entrée, accessible à partir de bac+2. En amont, des visites dans les lycées et les BTS sont organisées pour présenter l’école et donner aux élèves des informations sur les métiers du cinéma et les formations existantes. Pour Marc Nicolas, le directeur de La Fémis, et Raoul Peck, son président, le dispositif n’allait pas assez loin. Il fallait aussi aider ceux qui n’ont pas le niveau scolaire pour réussir le concours. 


Ecoutez Florence Auffret présenter le projet de Résidence de La Fémis

 

En quoi consiste la Résidence de La Fémis ?

L’école accueille quatre résidents pendant neuf mois. Durant trois mois, ils suivent des cours sur le modèle de la première année d’école. Le quatrième mois, ils écrivent le projet d’un film de vingt minutes environ qui nécessite huit à dix jours de tournage. Pendant les derniers mois de la « Résidence », ils expérimentent la préparation, le tournage et la post-production. Ces films feront ensuite l’objet d’une projection à La Fémis fin décembre.

Pourquoi quatre résidents ?

Tout d’abord, cette formation représente un coût. Ensuite, La Fémis considère que le cinéma reste un petit milieu et qu’il faut pouvoir intégrer le marché du travail. Quatre résidents semblait un nombre adéquat : il ne fallait pas qu’ils se concurrencent eux-mêmes. Par ailleurs, il faut se rappeler que le cursus général n’accueille que six réalisateurs par promotion.

                                                                

 La résidence « Labo du premier doc » de Périphérie

Michèle Soulignac expose à son tour le projet mis en place par Périphérie. Depuis 2003, l’association accueille des cinéastes en résidence. En 2012, la résidence « Labo du premier doc » a été créée pour des réalisateurs sans producteur, n’ayant pas fait d’école de cinéma, ni suivi de Master cinéma, et souhaitant réaliser un premier documentaire de moins de trente minutes.

 

Ecoutez Michèle Soulignac au sujet des difficultés rencontrées par les apprentis cinéastes, face aux structures officielles.

 

Aux yeux de Michèle Soulignac, il est important que les films soient tournés et montés pour que les jeunes réalisateurs sachent ce que cela signifie que faire un film. Même si les exigences ne sont pas les mêmes pour « Cinéastes en résidence », il existe des ponts entre les deux dispositifs : il faut que les cinéastes puissent se montrer leurs films mutuellement. « C’est cela que nous appelons la diversité ».

 

 « La Ruche » de Gindou Cinéma

Sébastien Lasserre explique que Gindou est un petit village de trois cents habitants situé dans le Lot, propice à l’accueil de réalisateurs en résidence d’écriture. Historiquement, l’association s’est construite autour du festival « Rencontres Cinéma », puis a développé d’autres volets d’actions : l’éducation à l’image, l’aide à la création…. Le scénario fait partie des compétences de Gindou cinéma qui propose des ateliers d’écriture pour les professionnels depuis vingt ans.

Plus précisément, Gindou Cinéma propose deux dispositifs autour de l'écriture de scénario : « Le Goût des autres » pour les 12-18 ans et « La Ruche » pour les 20-30 ans. « Le Goût des autres » s’inscrit parmi les actions d’éducation à l’image menées par l’association. « La Ruche » s’apparente davantage à une aide à la création via l’écriture.

Le principal challenge de « La Ruche » est la détection des jeunes auteurs. Un appel national à scénario a été lancé, très large dans ses critères. Il fallait que les candidats n’aient pas d’expérience significative, ni fait d’école de cinéma. Les huit lauréats sont accompagnés par deux cinéastes tuteurs pendant quelques mois au cours desquels ils participent aussi à des festivals (Gindou, Bordeaux, Villeurbanne…). La question de la mixité est essentielle: il faut des candidats qui viennent de partout pour éviter de créer une « case ghetto ». Il y a deux ans, « La Ruche » a accueilli des candidats éloignés géographiquement de Paris sans forcément résider en banlieue,  mais c’est loin d’être le cas chaque année.

Il s’agit d’accompagner un projet personnel : le plus important pour les candidats est la maturation de la réflexion sur leur orientation. Ils ont tous une vraie curiosité, un potentiel, mais il faut les aider dans leur réflexion.

 

Est-ce que, parmi les formateurs, il y a également une démarche « inclusive » de la diversité ?

Florence Auffret indique que la Fémis recourt uniquement à des intervenants extérieurs, mais elle pense que l’école gagnerait à introduire davantage de diversité parmi eux, pour la Résidence comme pour ses autres formations. Sébastien Lasserre veille à éviter les personnalités écrasantes ou trop exigeantes dans le choix des intervenants pour la Ruche. Ceux-ci sont par ailleurs plus jeunes que sur d’autres ateliers.  Morad Kertobi ajoute que les premières qualités demandées aux lecteurs et aux intervenants, au-delà de leurs compétences techniques, sont des qualités humaines, c’est-à-dire des qualités d’empathie, de compréhension psychologique. Il s’agit d’être à même de saisir ce qui se joue pour les apprentis réalisateurs car la phase d’écriture est complexe. Elle fait intervenir des ressorts intimes.

 

 « L’Atelier » de Côté Court et Cinémas 93

L’objectif est là aussi de favoriser l’accès au milieu fermé et cloisonné du cinéma, en accompagnant trois résidents pendant un an. Pour candidater, il faut n’avoir aucune formation initiale en cinéma, mais il n’existe pas de limite d’âge. Un lien avec la Seine-Saint-Denis est exigé : il faut être né, habiter, avoir suivi ses études, travailler ou bien développer des projets sur ce territoire.

La sélection ne repose pas sur un projet de film précis : il s’agit davantage de déceler un regard, un talent, tout en questionnant un désir de cinéma. Partant du constat que ces cinéastes autodidactes ne passent pas forcément par l’écrit avant de tourner, il ne leur est pas demandé d’éléments scénaristiques, mais des images (des films, des photos…) et une lettre de motivation.

 

Ecoutez Léa Colin présenter L'Atelier.

 

Tout au long de l’année, les lauréats et leurs parrains se retrouvent lors d’un rendez-vous mensuel à Cinémas 93 ou au Ciné 104. Ces rendez-vous sont l’occasion d’échanger sur des questions de cinéma, théoriques ou techniques. Un exercice leur est demandé d’une fois sur l’autre pour leur permettre de se confronter à la réalisation concrète de petites formes visuelles.

Maïmouna Doucouré tient à témoigner de l’importance de ces accompagnements. C’est grâce à eux qu’elle a pu réaliser à quel point l’étape scénaristique était déterminante. Il faut accepter de relire, de remettre en question, de prendre du recul. Les regards extérieurs sont essentiels pour renforcer son projet.

 

 Un profil-type ?


Ecoutez Sébastien Lasserre sur la question du profil des autodidactes.

 

Morad Kertobi ajoute que le profil psychologique des bénéficiaires est une question très importante. C’est ce qui rend la tâche si difficile. Il faut à la fois déceler un potentiel artistique et des qualités personnelles et humaines (de la curiosité, de l’ouverture, de la persévérance, du charisme pour entraîner d’autres personnes dans son projet). C’est un équilibre à trouver. « On tend la perche mais il ne faut pas sombrer dans la démagogie. Faire un film, c’est très compliqué ».

 

Comment avez-vous entendu parler de ces dispositifs ?
Maïmouna Doucouré explique : « Après mon premier film, je suis allée en festivals, les infos circulent. Un réalisateur m’a parlé de "La Ruche", une amie m’a envoyé l’annonce… »

Quant à Djigui Diarra, un ami journaliste l’a informé de l’existence de « La Ruche ». La directrice de l’association 1000 visages lui a parlé du concours organisé par France Télévisions et de la « Résidence » de La Fémis. Elle a su trouver les mots pour le convaincre : « Je ne voulais pas, je sentais un blocage : suis-je légitime, compétent ? Je doute, puis l’énergie vient. »

 

 Le travail en réseau

Léa Colin insiste sur le rôle des associations d’éducation à l’image comme 1000 visages, où des jeunes peuvent se révéler en ateliers. Ces structures peuvent se faire relai sur ces dispositifs : « il y a un véritable réseau à construire, une chaîne de solidarité. Beaucoup de choses se font à l’échelle du territoire mais on se connait trop mal. »

Claudie Le Bissonnais (Arcadi / coordination francilienne de Passeurs d’images) va dans le même sens. Sur beaucoup d’atelier d’éducation à l’image, des jeunes veulent aller plus loin. Certains s’en donnent les moyens par le biais de l’autoproduction mais, en général, on ne peut leur apporter de réponses à travers les modes opératoires existantes. Ces nouveaux dispositifs comblent une lacune maintes fois constatée et représentent une seconde marche pour ceux qui ont le goût d’aller plus loin. Il faut que les uns et les autres communiquent sur la base de ces complémentarités.

Dans ce même ordre d’idée, Morad Kertobi évoque le rôle essentiel des festivals qui ne sont pas seulement des lieux de programmation mais aussi de rencontres professionnelles. Le Festival Côté Court par exemple est fréquenté essentiellement par des professionnels parisiens alors même qu’il est ancré en Seine-Saint-Denis. Comment construire un temps de rencontres, de liens ? Pour répondre à ce questionnement, le festival a mis en place le « Pass Jeune réalisateur » qui donne accès à des masterclass, à un système de tutorat, à des temps d’échanges d’expériences.

Des collaborations se développent aussi en régions. Les festivals sont ouverts à l’international, mais il y a parfois un manque d’ouverture à l’échelon local. C’est afin d’y pallier que le Festival d’Amiens a mis en œuvre le dispositif « La Première des marches », parcours progressif du local vers l’international. La richesse des festivals, même si c’est sur un temps éphémère, tient à cette ouverture à des invités du monde entier, des associations, des mécènes, des partenaires de tous ordres, des enseignants… 

 

 Comment détecter les talents ?

Pour « L’Atelier », un appel à candidature a été lancé à tous ceux qui ont bénéficié du « Pass jeune réalisateur » du festival Côté Court ou postulé à l’Aide au film court. Cet appel a également été envoyé à toutes les salles du réseau Cinémas 93 et aux structures d’éducation à l’image. Passeurs d’images a également relayé l’information, de même que l’association 1000 visages.

En tant que responsable cinéma de L’Espace Georges Simenon à Rosny-sous-Bois, Amandine Larue confirme que beaucoup de jeunes s’adressent à elle pour savoir comment faire des films. La salle est le seul endroit dans la ville où on parle de cinéma, il est donc naturel qu’on vienne vers elle.

Morad Kertobi confirme que le rôle des salles est très important et appelle à s’interroger sur une nouvelle façon de composer avec la manière de faire des jeunes générations. Auparavant, les cinéphiles acquéraient un bagage théorique avant de passer à la réalisation. Aujourd’hui les jeunes enregistrent tout. Comment s’ouvrir à eux ? « Il nous faut apprendre à les accueillir, les considérer et faire un travail critique et constructif au niveau local, considérer ceux qui sont plus que des spectateurs. »

Sébastien Lasserre revient de son côté sur la façon de travailler de l’équipe de « La Ruche ». Elle a activé ses contacts et lancé un appel au niveau national. Le réseau Passeurs d’images est essentiel et les missions locales ont également été mises dans la  boucle. Depuis deux ans, on observe une nette augmentation du nombre de candidats : on est passé de 15 à 35 dossiers. Ces demandes viennent de partout. On constate par ailleurs que les producteurs de courts métrages sont tout à fait enclins à rencontrer les jeunes scénaristes.

Concernant le « Labo du premier doc », les réseaux habituels ont été contactés, mais l’effet « notoriété » a joué également et participé à la montée en puissance du dispositif qui a reçu 20 candidatures au lieu de 10 précédemment.

Du côté de La Fémis, pour sa première année d’existence, la « Résidence » n’avait pas d’intérêt à trop communiquer afin de ne pas recevoir un trop grand nombre de candidatures. L’enjeu était de maîtriser les profils des candidats pour éviter les effets d’aubaine (l’idée par exemple de faire produire son premier film par La Fémis). Les associations servent donc de filtre en repérant en amont les candidats potentiels. Aïcha Belaïdi qui a réalisé l’étude préalable a tout particulièrement relayé l’information auprès de ces associations pour qu’elles poussent leurs protégés à s’inscrire. Pour la première année, La Fémis a reçu 49 candidatures et 8 sont passés devant un  jury. Sur les 4 candidats retenus, 3 étaient passés par l’association 1000 visages. Le quatrième s’est présenté seul après avoir pris connaissance de l’annonce sur le site Internet d’une DRAC. Du point de vue de Florence Auffret, les candidatures sont encore trop parisiennes. Le but n’est pas de sélectionner les candidats sur un projet précis, l’école recherche plutôt des personnalités qui ont envie de s’exprimer par le cinéma.

Michèle Soulignac tient à rappeler qu’il existe de très nombreux films de qualité mais qui ont du mal à atteindre leur public. Le secteur du documentaire de création notamment est d’une vitalité créative et artistique extraordinaire. Néanmoins les conditions économiques du secteur ne sont pas loin d’être lamentables. Les salles et les médiathèques font de gros efforts mais elles ne peuvent pas tout. Et si faire un premier film est difficile, l’œuvre d’un cinéaste s’évalue sur quatre ou cinq films. Or, comment vit-on de ses films ? Cette question est centrale. Il faudrait que le système permette aux cinéastes de grandir, mais ce n’est pas le cas, il n’est plus aussi audacieux qu’avant.

 

Synthèse rédigée par Suzanne Hême de Lacotte (Les Sœurs Lumière)
Crédits photos : photographie La Fémis (copyright : La Fémis), photo Labo du Premier doc (copyright : Labo du Premier doc), photo La Ruche (copyright : Gindou Cinéma), photo 1000 visages (copyright : 1000 visages), photo L'Atelier (copyright : Cinémas 93)