LA DIFFUSION EN SALLE DE FILMS « TOMBÉS » DANS LE DOMAINE PUBLIC

Journée co-organisée avec le Groupement National des Cinémas de Recherche (GNCR)


> En France, peu d’œuvres cinématographiques appartiennent au domaine
> Les films « tombés » dans le domaine public
> Le cas d’Alice Comedies et de sa distribution en salles par Malavida
> Quels sont les risques encourus si l’on ne respecte pas la législation ?
> Le domaine public du point de vue du CNC


Les films tombés dans le domaine public sont-ils vraiment libres de droits ? Quelles sont les obligations de l’exploitant ? Comment se procurer les copies des films ? Doit-on passer obligatoirement par un distributeur ? Peut-on télécharger les films sur Internet ?

Mathieu Taviert, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, débute cette table ronde en rappelant que les règles sont très complexes en ce qui concerne les œuvres tombées dans le domaine public, grand oublié du droit : parmi tous les textes sur la propriété et le droit d’auteur, aucun ne mentionne le domaine public. On ne peut en proposer qu’une définition par la négative : le domaine public est un fonds constitué d’œuvres dont les droits d’auteur ont expiré. Et pas n’importe quels droits : les droits patrimoniaux, c’est-à-dire les droits de reproduire et de représenter l’œuvre.

 

 

EN FRANCE, PEU D’ŒUVRES CINÉMATOGRAPHIQUES APPARTIENNENT AU DOMAINE PUBLIC

En France, une œuvre tombe dans le domaine public soixante-dix ans après la mort de son auteur. A l’étranger, les durées sont souvent plus courtes (cinquante ans en Inde par exemple). Or le cas du cinéma est particulier car on peut considérer qu’un film est le fruit du travail de plusieurs auteurs. Sont en effet considérés comme co-auteurs le(s) réalisateur(s), le(s) scénariste(s), le(s) compositeur(s) de la musique de film… Il faut donc parler des auteurs au pluriel.

Par ailleurs, l’histoire du cinéma étant relativement courte, les délais pour qu’une œuvre tombe dans le domaine public sont très longs ! De ce fait, peu d’œuvres appartiennent au domaine public en France. Georges Méliès est l’un des premiers dont l’œuvre est aujourd’hui concernée, et ce depuis 2008. Or il faut savoir qu’il existe des cas de prorogation si l’on propose une nouvelle version d’une œuvre. C’est le cas du Voyage dans la lune de Méliès, dans sa version colorisée avec une musique composée par Air.

Quand les ayants-droits ne sont pas connus, il faut faire des recherches poussées. Si elles s’avèrent infructueuses, on risque peu, du point de vue du droit, à projeter une œuvre si la diffusion a lieu dans un cadre confidentiel. D’une façon générale, plus on fera de recherches diligentes, plus les juges seront amenés à considérer l’œuvre comme orpheline.

Il existe deux courants juridiques, concernant tous les types d’œuvres : d’un côté, les ayants-droits et leurs juristes cherchent à protéger les œuvres en augmentant ou en bloquant les droits ; de l’autre, une génération plus jeune, en faveur du domaine public et de l’accès la culture, se demande comment aménager le droit pour permettre un accès plus direct et favorable aux œuvres.

 

 

LES FILMS « TOMBÉS » DANS LE DOMAINE PUBLIC

Une fois qu’un film est tombé dans le domaine public, on ne peut pour autant le reproduire ou le représenter librement, sans autorisation, voire sans rémunération de l’ayant-droit : il s’agit ici du droit moral des auteurs qui ne concerne pas le producteur, mais la personne de l’auteur, et se transmet d’héritier en héritier. Imprescriptible, il impose certaines obligations : citer le nom des auteurs (droit de paternité) et ne pas amputer l’œuvre (respect de son intégrité).

Une autre question posée par les œuvres tombées dans le domaine public concerne la qualité du support. On peut tout à fait projeter une œuvre du domaine public en streaming, mais sa qualité risque alors de laisser à désirer, tout particulièrement en salle ! Pour obtenir un support de qualité, il faut souvent payer.

 

 

LE CAS D’ALICE COMEDIES ET DE SA DISTRIBUTION EN SALLES PAR MALAVIDA

La société de distribution Malavida, représentée par ses cofondateurs et codirigeants Anne-Laure Brénéol et Lionel Ithurralde, a été créée en 2003. Depuis 2010, elle travaille plus particulièrement sur le cinéma de patrimoine pour les enfants.

Les programmes Alice Comedies ont été proposés à Malavida par la Cinémathèque néerlandaise dans le cadre du marché du film classique au festival Lumière à Lyon. Des copies nitrates d’une douzaine de courts métrages avec le personnage d’Alice ont en effet été récemment retrouvées au Bénélux. Ces copies ont été restaurées par la Cinémathèque néerlandaise qui les a ensuite mises sur le marché de la distribution.

Les films Alice Comedies, réalisés par Walt Disney, n’ont pas été produits par les Studios Disney, mais par la société Disney Brothers qui a fait faillite en 1927. Le Copyright n’a pas été renouvelé par Disney qui n’aimait pas vraiment ces films. C’est la raison pour laquelle ils sont aujourd’hui dans le domaine public. Le contrat qui lie Malavida à La Cinémathèque néerlandaise porte sur du matériel et non sur des droits d’auteur. La Cinémathèque néerlandaise vend un matériel restauré.

Un travail d’éditorialisation a été effectué par Malavida pour accompagner la sortie d’un programme de quatre de ces films, destiné au jeune public à partir de 3 ans. Les douze films acquis n’ont pas tous la même qualité. Il fallait également veiller à ce que le programme n’excède pas 45 minutes de projection en raison de l’âge des spectateurs. Des pastilles vocales ont été réalisées pour doubler la lecture des cartons par les spectateurs. Il est à noter que le DCP comportera aussi une version sans la voix-off du petit garçon qui commente les images, ce qui permettra de bonimenter pendant la séance. En 2017, un second programme de quatre films sortira, puis une sortie en DVD suivra avec l’ensemble des douze films.

L’ADRC est partenaire de cette sortie en salles et propose un accompagnement sous la forme d’un ciné-concert avec l’Orchestre de Chambre d’Hôte qui compte huit musiciens. Une version pour guitare électrique et flûte traversière est également prévue. L’AFCAE jeune public soutient le film et a réalisé un document « Ma petite cinémathèque » qui complète le document édité de son côté par l’ADRC.

Il faut rappeler que le programme Alice Comedies tel qu’il sortira en salles n’est pas libre de droits : il appartient à Malavida. Il a été « copyrighté » et comporte un nouveau générique. Cela s’explique par le travail effectué sur la création des cartons, retraduits pour qu’ils s’adressent aux enfants d’aujourd’hui avec un niveau de langage adapté.

  • En savoir + :

Malavida films 

 

 

QUELS SONT LES RISQUES ENCOURUS SI L’ON NE RESPECTE PAS LA LÉGISLATION ?

Mathieu Taviert rappelle que l’on risque une action en justice avec une demande de dommages et intérêts dont les montants peuvent être très variables. Le film et le support peuvent être retirés. A noter que la notion de bonne foi n’a aucune valeur juridique. La peine encourue dépend en revanche du but recherché : une exploitation contrevenante dans un cadre pédagogique pourrait éventuellement l’atténuer.

 

LE DOMAINE PUBLIC DU POINT DE VUE DU CNC

Laurent Cormier, directeur du patrimoine cinématographique du CNC, explique que les collections du CNC concernent des comptes de tiers. Dans 90% des cas, il s’agit de dépôts et le matériel déposé n’est pas la propriété du CNC. Il n’existe pas vraiment de politique affirmée en matière de domaine public en raison de la rareté de l’objet. Mais le CNC n’étant pas distributeur, lui appartient-il d’avoir ce genre d’action ?

 

Les œuvres tombées dans le domaine public ont-elles été appréhendées de façon particulière dans le cadre du plan de numérisation ?

Depuis quatre ans, plus de huit-cents films ont été restaurés. Aucun n’appartenait au domaine public. En revanche, certaines œuvres étaient orphelines, c’est-à-dire que certains ayants-droits étaient impossibles ou difficiles à identifier.

La notion de domaine public est particulière en France où, contrairement aux Etats-Unis, très peu de films relèvent du domaine public : un cas comme celui du programme Alice Comedies ne pourrait pas se présenter. En particulier, il serait impossible de composer un nouvel accompagnement musical ou des pastilles sonores sans l’accord de l’auteur ou de ses héritiers. Les ayants-droits préfèrent en général que les œuvres soient exploitées par des sociétés solides, pour éviter qu’elles ne se perdent pas dans la nature et soient réutilisées sans que l’on sache comment. Mais beaucoup d’héritiers surestiment les possibilités d’exploitations, ce qui bloque quantité de situations alors qu’on pourrait rendre vie à ces œuvres.

Le CNC a mis en place une base de données avec les cinémathèques, Lise, pour recenser leurs collections respectives. Par ailleurs le RPCA (Registre Public du Cinéma et de l’Audiovisuel) permet de remonter une chaîne des droits possible. Les portails Cinédoc et Cinéressources peuvent donner des pistes sur des ayants-droits éventuels. Mais il n’existe pas d’outil sur le domaine public en tant que tel en France. En revanche, le CNC travaille à un outil européen sur les œuvres orphelines.

Par ailleurs, un inventaire national a été lancé sur le matériel pour recenser et identifier les boîtes, les affiches…  Dans l’objectif de créer un outil commun avec la Cinémathèque française et la Cinémathèque de Toulouse.

  • En savoir + :

Cinédoc 
Cinéressources
Le site Patrimoine du CNC 

 

Discussion animée par Antoine Leclerc, délégué général du Festival Cinéma d’Alès - Itinérances et de l’association Carrefour des festivals.

 

   Regardez la vidéo de la table ronde (à partir de 5min30)


LIRE LA SUITE DE LA RESTITUTION DU VENDREDI 18 NOVEMBRE :

LA DIFFUSION DE FILMS DE PATRIMOINE EN SALLE À L’HEURE D’INTERNET