JEUDI 5 NOV - TABLE RONDE

REMAKE, RE-FAIRE, OUI MAIS POURQUOI ?

Détournements, citations, appropriations et réemplois d’images... 

  • APRÈS-MIDI (14H – 15H30)

Le temps des ateliers


TABLE RONDE

Comment réinventer les images du passé pour se construire au présent : détournement artistique, réinterprétation et jeu de miroirs

Si les ateliers de pratique artistique visent à expérimenter et appréhender un médium ou une œuvre, les expériences de détournement d’images permettent parfois, par une véritable réappropriation, d’en livrer une relecture contemporaine. Comment les adolescents s’emparent-ils des techniques du mashup, remake et autre « suédage » cher à Michel Gondry pour réinventer des films et des formes qui peuvent paraître a priori éloignés de leurs appétences culturelles ? Comment les artistes et les passeurs les accompagnent-ils pour qu’ils s’affranchissent des codes existants et les réinterprètent en donnant corps à cet élan créatif ? Que permet la confrontation avec ces images du passé pour leur construction au présent ?

avec Laurence Bazin, chef monteuse et réalisatrice de films documentaires, Leslie Darel, responsable jeune public au cinéma Le Luxy d’Ivry-sur-Seine, Elodie Escarmelle, danseuse et chorégraphe, Christelle Pondard, enseignante documentaliste au collège Gustave Courbet de Romainville et Vincent Kessler, ancien lycéen en option cinéma au lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine.

Table ronde animée par Anne-Sophie Lepicard, autrice et intervenante en milieu scolaire.


> Introduction
> Trois projets
> Déroulement des ateliers
> Derniers extraits
> Ressources complémentaires


Introduction

Les réflexions et échanges de la matinée ont permis d’aborder la question du remake dans sa dimension industrielle et artistique. Cécile Morin, chargée de mission actions éducatives, formation professionnelle et diffusion dans le champ social à Cinémas 93, introduit le deuxième temps de cette journée, dévolu cette fois au partage d’expériences. Trois ateliers proposés par des artistes à des publics jeunes vont être présentés.

Anne-Sophie Lepicard prend la parole. Comme chaque année, « Le temps des ateliers » se penche sur des projets singuliers, qui cherchent une manière originale d’offrir à des adolescents une expérience de l’image et du son. Ces différents ateliers sont rassemblés par un sujet commun : cette année, la place des images du passé. Comment ces images du passé permettent-elles de créer de nouvelles images, de construire des sensibilités esthétiques, voire politiques ?

 

Trois projets

West Side Suédé

Elodie Escarmelle, chorégraphe, présente l’atelier qu’elle a supervisé au collège Gustave Courbet de Romainville : le projet West Side Suédé.

Cet atelier s’est déroulé dans le cadre du dispositif La Culture et l’Art au Collège. Il s’agit d’une reprise de la célèbre séquence d’ouverture du film West Side Story de Robert Wise (1961), retournée avec des élèves du collège Gustave Courbet de Romainville.

L’atelier a été mené en collaboration avec Kostia Testut, réalisateur de comédies musicales. Elodie Escarmelle et Kostia Testut avaient envie de donner l’occasion à des collégiens d’approcher l’art de la danse. Passer par l’intermédiaire d’une séquence de film leur semblait un bon moyen de rendre cette discipline concrète et accessible. La première étape de l’atelier a consisté à montrer aux collégiens la scène de West Side Story, pour choisir avec eux ce qu’il semblait important d’en conserver, dans la trame narrative et dans les mouvements de danse. 

Christelle Pondard, enseignante documentaliste qui a coordonné le projet au collège Gustave Courbet, explique qu’ils ont choisi de le proposer à une classe de 5ème option Arts, où l’âge des élèves leur paraissait adapté. Les élèves ont bien accueilli l’idée, occasion pour eux de découvrir le film de Robert Wise en même temps que le genre de la comédie musicale. L’histoire, liée à leurs problématiques adolescentes, les a touchés, et le fait qu’on leur propose d’être acteurs, de participer au projet de sa conception à sa réalisation, les a aidés à s’impliquer.

 

Nos défaites

L’atelier Nos défaites a été dirigé par le réalisateur Jean-Gabriel Périot avec des lycéens du lycée Romain Rolland à Ivry-sur-Seine, en partenariat avec le cinéma Le Luxy. L’expérience a donné naissance à un film de long métrage qui a été présenté au festival de Berlin et sorti en salles en 2019.

Jean-Gabriel Périot a montré aux élèves différents films militants tournés dans les années 60 et leur a proposé d’en rejouer des scènes. L’extrait diffusé ici est un remake du court-métrage Reprise du travail aux usines Wonder de Jacques Willemont (1968). La scène rejouée est suivie notamment d’un échange entre Jean-Gabriel Périot et la lycéenne qui est l’interprète principale de la séquence.

Visionner l’extrait (mot de passe : ND1)

Leslie Darel, responsable publics jeune et scolaire au cinéma Le Luxy à Ivry-sur-Seine et partenaire de l’option cinéma du lycée Romain Rolland, explique le contexte de l’atelier. Chaque année, elle et ses collaborateurs demandent à un réalisateur de venir dans cette classe, pour y réaliser un film avec les élèves. Cet atelier ne prévoit pas de cadre ou de thème imposés. Son objectif est que les élèves se trouvent emmenés dans un univers artistique par un professionnel. L’année de la venue de Jean-Gabriel Périot a été particulière, car l’enseignante avec laquelle ils travaillaient habituellement a dû partir en congé maternité. Le point de départ défini par cette enseignante, un travail sur la question de l’altérité, a donc été réorienté en cours de route.

Vincent Kessler, aujourd’hui étudiant, a participé à cet atelier au poste d’assistant réalisateur. Il développe : l’idée définie avec leur enseignante était d’aller à la rencontre de SDF et de migrants. Jean-Gabriel Périot a modifié le projet et proposé de travailler avec des images d’archives, une matière qui lui est familière. Il se trouve qu’en 2018, l’atmosphère sociale était très mouvementée et offrait un écho à celle de 1968.

Vincent Kessler revient sur la genèse des échanges filmés entre Jean-Gabriel Périot et les lycéens, dont l’extrait ci-dessus donne un exemple. Pour ces séquences, Jean-Gabriel Périot a choisi de ne pas préparer les lycéens aux questions qu’il allait leur poser, afin de recueillir des réactions spontanées. On se rend compte que la plupart ont peu de conscience politique. Ils ne semblent pas connaître les événements montrés dans les films d’archives, ni s’intéresser aux problématiques du présent. Vincent Kessler précise qu’à titre personnel, il avait déjà eu l’occasion de voir des films militants.

 

Cinéam

Grâce au fonds d’archives Cinéam, Laurence Bazin, monteuse et réalisatrice, collecte sur le territoire de l’Essonne des images d’archives (principalement des films amateurs) qui servent de matière à différents projets. Le premier qui est présenté ici s’intitule À l’imparfait, un film réalisé par José Agüero.

Laurence Bazin explique que Cinéam collecte des images, les numérise, les restaure et les archive, dans le cadre d’un travail sociologique sur le territoire de l’Essonne. Sa propre sensibilité a aussi éveillé l’envie d’explorer ces images d’un point de vue plus artistique, et de les partager avec la jeune génération. Cela a notamment donné naissance à deux projets : d’une part Cinémix, en partenariat avec les Arts visuels de l’agglomération Grand Paris Sud, le Conservatoire et l’université d’Evry – un atelier d’arts plastiques à dominante expérimentale, qui s’adresse à des adultes et jeunes adultes de tous horizons ; et d’autre part Mashup, un atelier destiné aux enfants et adolescents.

 

Déroulement des ateliers

Ce premier aperçu des différents ateliers montre une grande diversité d’images, de la comédie musicale au film militant, en passant par le film amateur. Anne-Sophie Lepicard demande aux intervenants comment s’est fait le choix des images pour chacun des projets, et comment celles-ci ont été reçues par les participants.

Concernant Nos défaites, Vincent Kessler explique que Jean-Gabriel Périot a montré aux élèves plusieurs extraits parmi lesquels ils ont fait des choix. Ils ne connaissaient pas ces films. Ils leur ont été présentés et contextualisés. Les élèves ont ensuite fait des lectures entre eux, sous la supervision de Jean-Gabriel Périot et de leur enseignant, afin de distribuer les différents rôles. Lors du tournage, certains extraits ont été joués par différents élèves, ce qui a produit des effets intéressants.

Leslie Darel précise qu’à la suite de divers aléas, le déroulement de l’atelier a été quelque peu modifié. Le tournage a dû se faire sur deux jours. C’était l’année des 50 ans de mai 1968 : l’idée de Jean-Gabriel Périot était de voir ce qui restait de mai 68 aujourd’hui. Il avait présélectionné des extraits de films en rapport avec cette idée, et demandé à chaque élève d’en choisir trois, qu’il ou elle se verrait remettre en scène et dans lesquels il ou elle se verrait jouer.

Elodie Escarmelle revient sur le choix de West Side Story. C’est une comédie musicale à la fois emblématique et d’une grande qualité, autant sur le plan de la danse que du cinéma. C’est ce qui les a séduits, en plus du caractère accessible du film. L’idée de l’opposition entre bandes était aussi intéressante à exploiter : ils ont eu l’idée de la décliner en une opposition filles-garçons, qui raconte la conquête d’un territoire par les filles. La question du genre, à travers une réflexion sur l’occupation de l’espace commun par les hommes et les femmes, est très présente dans le travail de chorégraphe d’Elodie Escarmelle.

Christelle Pondard précise que West Side Story a été regardé en classe avec les élèves, et qu’une sortie a eu lieu au cinéma le Trianon de Romainville pour voir le film de Michel Gondry Soyez sympa, rembobinez, qui leur a fait découvrir la technique du suédage. L’atelier a vraiment été une construction collective entre les intervenants et les élèves. Ils se posaient les questions ensemble, que ce soit sur la narration, le choix des décors, des costumes et accessoires pour lesquels sont aussi intervenus des professeurs d’arts plastiques. Cela a permis aux élèves d’acquérir un regard cinématographique, de prendre conscience des différentes étapes et difficultés qu’implique la réalisation d’un film. Ils se sont montrés très valeureux.

Interrogée à son tour, Laurence Bazin explique que son objectif est de faire découvrir, aux jeunes principalement, des images différentes. Toutes les images du fonds Cinéam sont numérisées, mais pour elle il est important que les étudiants aient aussi accès aux films sur pellicule, afin de pouvoir se familiariser avec cette matière-là, et la travailler plastiquement.

Dans le cadre du projet Cinémix, environ 4 heures de rushes sont mises à la disposition des étudiants. Ils vont y puiser en fonction d’un thème défini au préalable, qui permet en général d’interroger les spécificités du film de famille : par exemple les grands ensembles, le voyage, les visages.

 

Derniers extraits

Un autre film issu d’un atelier supervisé par Laurence Bazin est diffusé : Histoire de mon quartier, film réalisé par des enfants avec la table Mashup.

Ce film témoigne d’une utilisation différente des images d’archives, prises non comme matière à expérimentation, mais comme traces de la mémoire des lieux. Le film a été réalisé dans le cadre d’un travail de mémoire autour du quartier du Parc aux Lièvres à Evry, qui sera bientôt détruit. Laurence Bazin a emmené des classes d’une école de ce quartier voir une exposition sur l’histoire des grands ensembles, conçue par la Maison de Banlieue et de l’Architecture. À la fin de l’exposition, elle leur a montré des archives filmées de la construction du quartier dans les années 70. Ces images leur ont tout de suite parlé, car ils reconnaissaient les lieux. La Médiathèque départementale de l’Essonne s’est associée à Cinéam pour enrichir leur fonds d’archives et fournir davantage d’images à travailler sur la table Mashup. 

Dernier exemple d’un atelier mené par Laurence Bazin : Les amants vieillissants, film de Yasmina Tamer et Maud Pavé.

Ce court métrage témoigne à nouveau d’une utilisation différente des archives. À travers un montage qui fait écho de manière troublante au texte d’Hervé Guibert lu en voix-off (extrait de L’image fantôme), les apprenties cinéastes explorent ce qui fait l’essence du film de famille.

Le film est issu d’un atelier de deux semaines destiné aux anciens étudiants du Master Images et société de l’université Evry Val d’Essonne. Cet atelier comprenait un temps théorique et un temps pratique, consistant à monter un film à partir du fonds d’archives de Cinéam. À nouveau, 3 ou 4 heures de rushes étaient mis à la disposition des étudiants, avec des propositions de pistes de travail, et également un enregistrement, celui du texte d’Hervé Guibert lu par le comédien Laurent Meunier.

Anne-Sophie Lepicard voit là un écho avec le film Nos défaites de Jean-Gabriel Périot, dont est diffusé un nouvel extrait, la séquence finale qui rejoue une vidéo d’actualité : l’interpellation violente d’un groupe de lycéens par des policiers à Mantes-la-Jolie en 2018.

Visionner l’extrait (mot de passe : ND2)

Vincent Kessler raconte comment, en découvrant ces images du temps présent, lui et ses camarades ont pris conscience de la violence des événements – bien plus qu’en regardant les films militants des années 60. À ce moment-là, il y a eu comme un éveil, mais il a le sentiment qu’il était trop tardif. 

Leslie Darel évoque l’atelier qui a succédé à celui dirigé par Jean-Gabriel Périot : mené par Nathan Nicholovitch, il a également donné naissance à un long-métrage qui sortira bientôt en salles, Les graines que l’on sème. Cet atelier s’est déroulé après l’interpellation de Mantes-la-Jolie et divers blocus de lycéens, et il est intéressant de noter que la conscience politique des élèves était alors beaucoup plus vive. Ils témoignaient d’un vrai besoin de parler, d’être écoutés. Ainsi, si l’atelier de Jean-Gabriel Périot s’était déroulé six mois plus tard, son film aurait peut-être été très différent. 


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