2E JOURNÉE - PRÉSENTATION

Ateliers imaginés par des artistes

avec Emilie Morin, réalisatrice et Laetitia Foligné, chargée de programmation de Comptoir du Doc, Paula Ortiz, cinéaste documentariste, Sébastien Ronceray, co-fondateur de l'association Braquage et Fred Soupa, documentariste.

Matinée animée par Anne-Sophie Lepicard, réalisatrice et intervenante en milieu scolaire


> présentation des projets
> Questions


Anne-Sophie Lepicard pose les enjeux de la rencontre entre l’éducation à l’image et les expérimentations de formes, autrement dit ce que l’on nomme plus communément le cinéma expérimental. Nombreux sont les projets qui se réfèrent en premier lieu au modèle narratif, avec un scénario et la construction d’une dramaturgie. Mais un certain nombre d’acteurs de l’éducation à l’image proposent d’autres approches, notamment sur les matières sonores et imagières. S’il est naturel que les enseignants de lettres se réfèrent d’abord à ce qu’ils connaissent, à savoir l’écriture et la narration, le cinéma expérimental est l’occasion d’aborder les choses autrement, avec une entrée plus directe vers certaines questions de cinéma, de montage, qui contournent la dimension narrative.

Sébastien Ronceray présente les activités de Braquage, association composée uniquement de bénévoles qui organise des programmations de films majoritairement sur pellicule (8, 9,5, 16mm…) et anime de nombreux ateliers dans des institutions, des établissements scolaires, des centres de loisirs, des festivals, mais également des squats, des cafés…  Ces ateliers portent sur la pratique de l’intervention sur pellicule, le pré-cinéma et les lanternes magiques, le cinéma d’animation ou encore la photographie avec le rayogramme* et le sténopé**. Ces ateliers sont destinés à des publics à partir de 5 ans (pour les ateliers dessin/grattage sur pellicule) jusqu’à l’âge adulte (atelier de création d’images sur support film sans utiliser de caméra).

* Le rayogramme est une photographie obtenue par simple interposition de l’objet entre le papier sensible et la source lumineuse.

** Le sténopé est un dispositif optique dérivant de la camera oscura. Il s’agit d’un trou percé sur la paroi d’une boîte afin de faire rentrer la lumière. Sur la surface opposée à ce trou, un support photosensible peut capturer l’image de l’extérieur.

 

Projection 16 mm d’un film réalisé à partir de pellicule grattée avec une classe

Fred Soupa évoque sa collaboration avec une classe de 4eme du collège Victor Hugo à Noisy-le-Grand (93). Il ne se positionne pas d’emblée dans le champ du cinéma expérimental mais plutôt dans celui de l’expérimentation, souvent le résultat d’une adaptation à une situation particulière. « Le temps manque souvent, il faut adapter le matériel à cette réalité, ce qui donne des outils singuliers, pas du tout technologiques ! » Le projet Je(u) 100 frontières a permis de décliner les notions de « frontière » de manière thématique et formelle, en rencontrant des professionnels de plusieurs domaines artistiques (musique, cinéma, danse) et en déclinant cette thématique dans différentes matières scolaires.

Emilie Morin et Laetitia Foligné travaillent pour Comptoir du doc, association basée à Rennes qui œuvre au développement et à la diffusion du cinéma documentaire. Depuis cinq ans, Comptoir du doc s’installe entre Maurepas et la Bellangerais pour y construire le projet Des histoires : une programmation de films documentaires conçue avec des habitants et des adhérents de Comptoir du doc, des ateliers de création, un stage proposé à des jeunes de 16 à 25 ans, des temps de rencontres et de sensibilisation au cinéma documentaire. Lors de la dernière édition, a été montée une exposition de photos, de vidéos et de créations sonores dédiées à Maurepas et ses habitants. Le projet a été développé sur plusieurs mois avec des jeunes adultes et des habitants du quartier formés à la photographie et au développement avec une boite noire fabriquée dans une canette de coca. Dans un second temps, ils ont fabriqué un sténopé géant dans lequel les jeunes pouvaient entrer. Parallèlement, les participants ont visionné des films qu’ils ont ensuite présentés au public.

 

 Regarder le film d’Emilie Morin Variation

Paula Ortiz a quant à elle travaillé avec des élèves du collège Jean-Baptiste Clément de Dugny à partir d’un texte d’Italo Calvino, « Les villes et les signes », extrait de l’ouvrage Les villes invisibles dans lequel un voyageur parvient à lire les signes de la ville, qui parlent d’elle et de ses habitants. Elle a mis ce texte en regard des symphonies urbaines, films typiques des avant-gardes des années vingt et trente, qui décrivent de façon visuelle et poétique l’activité d’une ville et dont l’une des œuvres emblématiques est Berlin symphonie d’une grande ville (1927) du cinéaste allemand Walter Ruttmann. La forme de ces symphonies visuelles offre une approche très libre qui permet de débuter une aventure sans savoir où on va arriver (un peu comme dans le documentaire). À Dugny, les signes présents dans la ville étaient essentiellement institutionnels, mercantiles, mais aussi des signes sauvages. C’est le décalage entre tous ces signes qui a fait l’objet d’un travail lors de l’atelier.

 

Extrait de Berlin symphonie d’une grande ville

© Berlin symphonie d’une grande ville (1927) de Walter Ruttmann

 

Projection du film réalisé lors de l’atelier Symphonie de Dugny

© Symphonie de Dugny réalisé avec les élèves du collège Jean-Baptiste Clément de Dugny

 voir le film Symphonie de Dugny

  • Après la présentation de chacun des ateliers, Anne-Sophie Lepicard interroge les invités de la table ronde sur la façon dont ces objets protéiformes, singuliers en termes d’écriture et pas toujours achevés, se construisent avec les enseignants et les élèves.

 

Sébastien Ronceray explique que la réalisation de films sans caméra est une activité que l’on peut mener en intérieur et qu’elle est tout à fait envisageable dans une salle de classe. Au cours de ce type d’atelier chacun participe individuellement à une œuvre collective en dessinant directement sur de la pellicule. Il n’est pas question ici de représentation si ce n’est éventuellement à travers le dessin qui peut être figuratif ou non. Les participants sont amenés à travailler avant tout les questions de rythme et le montage est réalisé à la main dans une approche très tactile où l’on expérimente le fait d’assembler des éléments ensemble. En raison des supports et du matériel utilisé, il est impossible de voir immédiatement le produit fini. L’attente est un processus important de la pédagogie de la création des films. C’est au moment de la projection que l’on découvre le résultat et cela oblige les participants à réfléchir à leur création dans le cadre d’un dispositif de projection et d’agrandissement de l’image.

Après la présentation de chacun des ateliers, Anne-Sophie Lepicard interroge les invités de la table ronde sur la façon dont ces objets protéiformes, singuliers en termes d’écriture et pas toujours achevés, se construisent avec les enseignants et les élèves.

Sébastien Ronceray explique que la réalisation de films sans caméra est une activité que l’on peut mener en intérieur et qu’elle est tout à fait envisageable dans une salle de classe. Au cours de ce type d’atelier chacun participe individuellement à une œuvre collective en dessinant directement sur de la pellicule. Il n’est pas question ici de représentation si ce n’est éventuellement à travers le dessin qui peut être figuratif ou non. Les participants sont amenés à travailler avant tout les questions de rythme et le montage est réalisé à la main dans une approche très tactile où l’on expérimente le fait d’assembler des éléments ensemble. En raison des supports et du matériel utilisé, il est impossible de voir immédiatement le produit fini. L’attente est un processus important de la pédagogie de la création des films. C’est au moment de la projection que l’on découvre le résultat et cela oblige les participants à réfléchir à leur création dans le cadre d’un dispositif de projection et d’agrandissement de l’image.

Emilie Morin et Laetitia Foligné remarquent que les jeunes participants étaient très surpris par le sténopé géant dont il a fallu monter la structure. Pour eux il était étonnant de passer une demi-journée à faire une photo sans avoir la possibilité de la voir immédiatement. Il faut effectuer plusieurs tests pour avoir une idée précise du temps d’exposition nécessaire. D’un point de vue pédagogique, cette temporalité est très intéressante. Aucun des participants n’avait jamais pris en main d’appareil photo argentique, encore moins fait des photos d’un mètre carré réalisées avec du papier qui ne doit pas voir la lumière avant d’être développé ! Le processus est très long (et collectif) pour passer de l’image négative à l’image positive. La version du sténopé fabriqué dans une canette est beaucoup plus légère et plus immédiate pour provoquer la curiosité et la discussion. Ces outils très simples permettent de développer soi-même ses photos et la magie l’emporte sur l’attente.

  • Anne-Sophie Lepicard s’enquiert de la réception de ces images très singulières.

 

Le sténopé fabriqué à partir d’une canette produit un effet fish-eye et l’image est parfaitement nette. Le sténopé géant est doté d’une lentille et il suffit d’entrer dans l’appareil pour voir à l’œil nu comment la netteté se fait (ou pas) dans l’image. A l’inverse de la canette, il n’y a pas de déformation. Le plus impressionnant reste de voir l’image se refléter sur soi quand on est à l’intérieur du sténopé.

Dans le cas de l’atelier mené par Paula Ortiz les jeunes ne se représentaient pas bien à quoi le projet allait ressembler (elle non plus d’ailleurs !). Les confronter à ce qu’ils pensaient de leur ville était une question compliquée car ils n’en étaient pas très fiers. Leur propre rapport à la consommation leur laissait penser que la rue principale de Dugny n’était a priori pas très intéressante : « On ne va pas montrer ça, c’est nul ». Ils avaient une image d’eux-mêmes négative avec un rapport au corps compliqué (les coiffures ont pu être filmées mais pas leurs visages). Au final, ils sont malgré tout parvenus à éprouver une vraie fierté pour les lieux qu’ils habitent.

Pour le tournage, Paula Ortiz a constitué deux équipes image et une équipe son. Les enseignantes aussi se sont inscrites dans un processus d’apprentissage. Les phases d’écriture se sont avérées plus compliqués : il était difficile pour les élèves d’exprimer des ressentis par rapport aux images qui ne relèvent pas de simples descriptions. Un détour par Georges Perec et son ouvrage Espèces d’espaces et son approche très ludique de la ville a simplifié les choses et permis aux élèves de laisser de côté leur vision très négative de Dugny. Enfin, le travail avec un sound designer sur la voix off a permis de créer une vraie composition sonore.

  • La posture de l’enseignant qui accepte d’être aussi en apprentissage, à égalité avec les élèves participe-t-elle au succès du projet ?

 

C’est évident pour Paula Ortiz qui se présente aussi elle-même en posture d’« apprentissage » de la ville de Dugny. Fred Soupa explique quant à lui qu’il fallait trouver la thématique la plus large possible « pour faire entrer un maximum de choses ». La « frontière » est un thème très à la mode, un peu « tarte à la crème », mais qui a aussi l’avantage d’être une proposition très large. Les premiers partenaires avec lesquels Fred Soupa a travaillé autour de la notion de frontière étaient des enseignants d’un centre d’accueil pour mineurs isolés situé dans le Val-d’Oise avec des pratiques plus libres que dans l’Éducation nationale. Les jeunes sont partis de leur propre approche de la question des frontières. Au collège, des professeurs d’anglais, de SVT, de musique, d’histoire-géographie étaient partie prenante au départ, mais quelques-uns n’ont pas suivi le projet dans son intégralité. Dans ce cas, le sujet des frontières a été envisagé selon des acceptions liées à des disciplines précises : les frontières dans la musique, celles entre le vivant/le mort en SVT, etc. Ces acceptions étaient très ouvertes, peut-être trop.

 

QUESTIONS

  • La responsable des dispositifs scolaires d’Atmosphère 53 pose la question de la réception des ateliers, notamment par les professeurs. En Mayenne, elle a tenté de proposer un atelier de grattage de pellicule qui s’est avéré très difficile à mettre en place dans des établissements scolaires.

 

Anne-Sophie Lepicard rappelle qu’en effet la posture de l’enseignant reste la pierre angulaire des projets.

Sébastien Ronceray ne rencontre pas ces difficultés au sein de Braquage. L’association a la chance d’être sollicitée par des enseignants qui ont envie de proposer ces ateliers à leurs élèves et qui disent pourquoi : ils sont ludiques pour les petits et apportent des connaissances en histoire des arts aux plus grands. Pour les adolescents, c’est un peu plus compliqué. Il est toujours intéressant de savoir ce que les professeurs pensent des propositions. Sébastien Ronceray ajoute qu’il s’autorise aussi à dire non s’il sent que cela ne va pas fonctionner avec le projet général proposé par Braquage.

Les enseignants apprennent avec les élèves et cela les implique dans le projet. Tous découvrent quelque chose de différent par rapport à leurs pratiques du cinéma et de spectateur. Ils ont l’occasion de se poser des questions sur les outils, sur les technologies : à quoi servent-ils, que nous racontent-ils du monde, en quoi celui-ci se transforme-t-il et en quoi sommes-nous liés à ces transformations ? Il y a une histoire des images dans laquelle s’inscrivent les différentes pratiques et formes.

  • Une éducatrice de jeunes enfants dans une crèche départementale demande comment approcher le cinéma expérimental avec les tout petits.

 

Cinémas 93 monte des projets de résidences dans les crèches, précise Sébastien Ronceray. On peut par exemple envisager un travail sur les ombres (placer les doudous devant une machine qui projette des ombres), sur la couleur (avec la projection de plaques de lanterne magique, avec ou sans commentaires). On peut projeter des extraits de films avec des projecteurs de cinéma, un peu de cinéma d’animation, en animant les enfants eux-mêmes…  Mais tout cela ne peut se faire qu’en étant à l’écoute du personnel des crèches et en utilisant des éléments de l’univers des enfants. Il est important de ménager des temps de formation du personnel des crèches mais c’est difficile car ces personnes travaillent beaucoup !

  • Dans la genèse du projet, comment articuler les attentes des professeurs et des institutions et les propres envies des porteurs de projet ?

 

Les projets que Fred Soupa a menés en lien avec Cinémas 93 sont le fruit d’échanges entre plusieurs partenaires. Cinémas 93 connaît les enseignants et leurs envies, puis des rencontres se font entre des préoccupations pédagogiques et des propositions artistiques. « Je défends des choses et il arrive que la rencontre ne se produise pas, parce que notre rapport au monde, à la création, n’est pas le même. J’essaye toutefois de rester très ouvert tout en défendant ce vers quoi j’ai envie d’aller » explique-t-il. « A nous d’avoir des positions claires mais souples. »

Paula Ortiz insiste sur son envie de partager un univers avec des élèves : « Je n’ai jamais senti le poids de l’institution. Ce qui est important c’est qu’il s’agit d’un échange. Et puis il faut accepter que les réactions ne soient pas aussi extraordinaires qu’on le souhaiterait… » 

  • En tant qu’intervenant, lorsqu’on mène un projet, quelle place donne-t-on aux enfants ? On observe souvent des propositions, des performances qui sont davantage celles des adultes.

 

Pour Emilie Morin et Laetitia Foligné, c’est une question qui se pose à chaque nouveau projet et la place des intervenants est à chaque fois à réinventer : « on apporte un cadre mais après c’est le projet des jeunes ; on est là pour les accompagner, les aider à aller plus loin. » La question du temps dont on dispose change tout. Avec le projet conçu pour « Des histoires », un petit collectif d’habitants s’est formé et, bien que la place où le sténopé avait été placé ait été détruite, le labo n’est plus temporaire et sert toujours. Mais cette implication se défend en dehors de tout budget alloué par les institutions. A Comptoir du doc, peu de projets sont finalement menés avec des enseignants mais ils le sont le mieux possible.

  • Anne-Sophie Lepicard demande qui sont les producteurs des images ?

 

Dans le cas des ateliers menés pour Des histoires par Comptoir du doc, le sténopé canette a donné lieu à une exposition photo au festival. En parallèle, le groupe de jeunes mobilisés et partenaires du projet ont vu les films programmés pendant le festival et choisi les séances qu’ils allaient animer. Ils ne se sont pas contentés de faire des photos, ils ont participé à une semaine complète de préparatifs d’un événement qui a eu lieu deux mois plus tard.

Fred Soupa explique qu’il intervient sur des temps généralement courts. Les enseignants peuvent de leur côté gérer des temps qui nourriront l’atelier. Tout dépend de la façon dont ils s’emparent du projet. Finalement, en tant qu’intervenant, on ne maîtrise pas tout. Il faut aussi savoir qu’un travail collectif amène des niveaux d’implication très différents. Le montage est souvent effectué rapidement par l’intervenant à la fin du projet, en heures supplémentaires et sans les élèves.  On est toujours tributaires de l’obligation de la restitution qui oblige à fournir un résultat même s’il n’est pas bon et l’intervenant passe souvent beaucoup plus de temps sur le projet que ce qui était prévu au départ.

Sébastien Ronceray considère pour sa part que l’expérience est suffisamment riche pour ne pas attacher trop d’importance au résultat final. Le montage se fait avec les élèves et c’est leurs gestes qui importent.

 

Démonstration de grattage de pellicule par Sébastien Ronceray

On prend une pellicule opaque (de la pellicule noircie ou de la pellicule son qui est une matière magnétique) dont on gratte le côté mat (avec les plus petits, on utilise des trombones). On peut travailler sur la longueur de la pellicule et pas uniquement photogramme par photogramme.

Sur de la pellicule transparente, il faut utiliser une réglette numérotée. Les bords de la pellicule ne se verront pas à la projection car ils sont réservés aux perforations et à la piste son. Il est possible de colorier les deux côtés de la pellicule, de jouer avec les couleurs (si on alterne le rouge et jaune, on verra de l’orange à la projection).

En guise de table lumineuse, Sébastien Ronceray utilise une boîte de VHS éclairée par une lampe de poche.

Paula Ortiz a souhaité présenter aux élèves des extraits de L’Homme à la Caméra (1929) de Dziga Vertov , de Mur, murs d’Agnès Varda (1982) et surtout l’intégralité de Lisboa Orchestra de Guillaume Delaperriere (2012) afin de leur montrer comment un film sur la ville peut être très rythmé grâce à un travail de montage et de son.

 Voir le film Lisboa Orchestra