3E JOURNÉE - FOCUS

LE PROJET DE CINÉMA PUBLIC À BOBIGNY

par Martine Legrand, vice-présidente chargée de la culture Est Ensemble, et  Adrien Brun, directeur de la culture Est Ensemble.

Organisé par Cinémas 93 en partenariat avec l'ACRIF (Association des cinémas de recherche d’Ile-de-France), l'AFCAE (Association française des cinémas art et essai), le GNCR (Groupement national des cinémas de recherche) et le SCARE (Syndicat des cinémas d’art, de répertoire et d’essai).

Matinée animée par Juliette Boutin, déléguée générale du GRAC (Groupement régional d’actions cinématographiques).


Face aux enjeux de l’aménagement cinématographique et urbain, et en affirmation de sa politique culturelle, l’établissement public territorial Est Ensemble a décidé de porter le projet du complexe de 6 salles qui sera construit dans le cadre de la réalisation du nouveau quartier de centre-ville de Bobigny.

Est Ensemble compte 400 000 habitants et regroupe 9 communes historiquement communistes et représentatives de la « banlieue rouge » (Pantin, Bobigny, Les Lilas, Bagnolet, Bondy, Le Pré-Paint-Gervais, Romainville, Noisy-le-Sec et Montreuil). Cette communauté d’agglomération est devenue, le 1er janvier 2016, un Établissement Public Territorial (EPT) de la Métropole du Grand Paris. En tant que vice-présidente chargée de la culture d’Est Ensemble, Martine Legrand a une approche pragmatique du projet de cinéma public à Bobigny : quel est le rôle d'une métropole ? Qu'apporte-t-elle d'un point de vue politique ? En théorie, un équilibre financier entre l'est et l'ouest de la métropole parisienne. Mais, en tant qu'élue, elle s'interroge sur cet équilibre.

Est Ensemble n’a pas attendu d'être officiellement un EPT pour assurer la gestion des équipements culturels (cinémas, bibliothèques et conservatoires) et lancer leur transformation. Aujourd’hui, 6 salles de cinéma, réparties sur les 9 communes d'Est Ensemble, qui toutes font partie de l'héritage des cinémas municipaux, constituent le plus grand réseau de cinémas publics en France. Pour Est Ensemble, ce réseau représente un investissement financier important mais il répond d’abord à la volonté politique de donner une autre vision du cinéma, en-dehors des circuits commerciaux, avec une vocation éducative et une tarification adaptée aux revenus de la population et permettant à ceux qui sont éloignés des pratiques culturelles de trouver leur place. Le nouveau cinéma de Bobigny s'inscrit dans cette démarche.

Adrien Brun précise les enjeux spécifiques de ce projet de cinéma à Bobigny. Est Ensemble est très proche de Paris et l'image de certaines de ses communes, comme Montreuil et Pantin, s’est améliorée suite à l’arrivée de populations plus aisées. Mais cette tendance ne doit toutefois pas masquer la réalité sociale et démographique du territoire : 40% de la population a moins de 30 ans, le revenu médian de la population y est inférieur d'un tiers par rapport au reste de la région et le taux de chômage deux fois plus élevé. À noter également que 60 % de ses habitants ont un niveau d'étude inférieur au BEP. À Bobigny, ville de 50 000 habitants, ces phénomènes sont plus accentués encore : 70 % de la population habite dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville.  Bobigny est situé au cœur du processus de métropolisation en termes sociaux, économiques et démographiques.  Façonné par l’urbanisme sur dalle des années 1970, le centre-ville de Bobigny est marqué par des ruptures d’échelles importantes et formé d’un assemblage d’îlots urbains et de quartiers déconnectés les uns des autres. Ce centre-ville est équipé d'un centre commercial dont la ville est locataire. La construction du cinéma date de la même époque. A l'origine, il s'agissait d'un cinéma privé de 3 salles ouvert par UGC, mais il n’a pas résisté. La ville a décidé de le remplacer en 1987 en l'intégrant d'abord à la MC93, puis en le transférant dans le centre commercial. Depuis 1987, le Magic Cinéma a connu toutes les formes juridiques : associative, municipale, transférée à Est Ensemble.

À l'été 2015, des discussions s'ouvrent sur le devenir de la salle. Un an plus tôt, Bobigny, qui a connu une majorité communiste pendant 80 ans, a basculé au centre-droit avec l'arrivée de l'UDI. Les élus expriment leur souhait de faire disparaître le centre commercial et de créer un nouveau centre-ville « commerçant ». Ce projet n'est pas une opération publique, car le centre commercial appartient à un consortium, et ne relève pas d'une zone d'aménagement concerté. Mais la Ville de Bobigny a joué un rôle d'impulsion et de suivi.

Le projet de centre-ville, tel qu'il a été décidé, implique la destruction du Magic Cinéma. La Ville souhaite la création d’une nouvelle salle et émet le souhait de faire appel à un opérateur privé pour établir une programmation plus ouverte et grand public. Est Ensemble s'y oppose : si la destruction du cinéma est souhaitable (les conditions d'accueil et de travail n'y sont pas satisfaisantes), la responsabilité de la programmation doit rester publique.

Entre 2015 et 2016, trois relocalisations possibles sont à l’étude : dans la future gare du Grand Paris Express (rapidement écartée), dans le nouveau centre commercial ou bien ailleurs, dans l’une des zones d’aménagement concerté de la ville. Les discussions n'avancent pas jusqu'à début 2017 et la désignation d'Altarea Cogedim comme opérateur du projet de démolition - reconstruction d'un nouveau centre commercial incluant des logements, des bureaux, une salle de fitness et un cinéma. Ce dernier est envisagé dans le projet pour créer une destination, faire venir les gens et « faire centre-ville ». Véritable lieu d'attraction, il doit rendre viables les commerces qui sont autour, garantir l'ouverture des restaurants le soir. Pour ce faire, Altarea Cogedim envisage de faire appel à un opérateur privé pour gérer un équipement de 6 salles, avec la possibilité d'un partenariat avec Est Ensemble sur le modèle du cinéma en projet à Carrefour Pleyel à Saint-Denis.

 

 

Cette proposition a posé deux problèmes à Est Ensemble. D’une part, la présence d'un cinéma public à Bobigny est un élément de sa politique culturelle, en particulier pour ce qui touche l'éducation à l'image, l'accueil de rencontres et de débats, la mise en place de conventionnements avec les associations du territoire. Toutes ces actions deviendraient plus compliquées à mener avec un cinéma privé. D’autre part, l'implantation d'un cinéma privé menacerait l'équilibre du réseau de cinémas publics. Est Ensemble a donc décidé de convaincre Altarea Cogedim qu’un autre modèle était possible et proposé d'exploiter la future salle. Après de longues négociations entre mars 2017 et septembre 2018, Altarea Cogedim a non seulement désigné Est Ensemble comme exploitant d'un établissement de 6 salles et 880 fauteuils, mais accepté que l’EPT en devienne propriétaire en achetant la coque vide pour l’aménager. Cette décision a été votée à l’unanimité par les élus d’Est Ensemble en septembre 2018, sur la base d’un budget entre 15 et 20 millions d’euros.

Pour Adrien Brun, cette opération reflète les systèmes complexes auxquels se trouvent confrontées les collectivités. Des décisions peuvent échapper à la puissance publique. Il faut donc que les collectivités se positionnent différemment et se forment pour parvenir à négocier. Cela implique d'intégrer aux équipes des collègues rompus à la négociation. « Nous ne nous contentons pas d'avoir une mission de tutelle vis à vis des cinémas publics, nous sommes les cinémas publics. »  Selon Adrien Brun, les salles publiques doivent évoluer. Il faut être plus efficient dans leur gestion, introduire davantage de polyvalence dans les équipes afin de dégager plus de temps pour développer des liens avec les habitants, augmenter leur présence sur les territoires. Ces cinémas doivent contribuer à la reconnaissance des droits culturels des habitants et devenir des lieux vivants de débats démocratiques dans nos cités.

Martine Legrand conclut : « le cinéma à Bobigny est un combat qui a un coût mais, quand nous y croyons, nous allons jusqu’au bout. »

 

QUESTIONS

Comment avez-vous réussi à convaincre le promoteur ?

Adrien Brun : Grâce à notre connaissance des territoires. Notre équipe était la mieux placée pour garantir la faisabilité du projet. La visite du Méliès a beaucoup compté pour prouver notre expérience en termes d'exploitation. Il a fallu déconstruire l'image associée aux cinémas publics, en particulier celle du Magic Cinéma qui est situé dans un centre commercial décrépi, sous une dalle, sans possibilité de restauration. Nous avons expliqué qu’à Bobigny nous étions les seuls capables d'exploiter cette future salle. Un opérateur privé aurait été déficitaire et, à terme, aurait assurément fermé.

Comment se profile le futur immédiat de la salle ?

La destruction du centre commercial est prévue en 2019. Il s'agit d'une très grosse opération qui se fera en deux tranches. Une première partie sera détruite puis reconstruite avant la destruction-reconstruction de la seconde partie. Le Magic Cinéma sera détruit lors la première phase, puis reconstruit avec la seconde. L'achèvement de la nouvelle salle est prévu en 2024 ou 2025. Dans l’intervalle, le cinéma développera un projet d'actions itinérantes à Bobigny 4 jours par semaine afin de continuer à proposer des séances scolaires, périscolaires et tous publics. Pour cela il faut identifier les lieux susceptibles d'accueillir des projections, acheter du matériel et former les équipes. Ces expérimentations pourront d'ailleurs bénéficier aux autres cinémas d'Est Ensemble.

Quel est le devenir de l'équipe du Magic Cinéma ?

Actuellement le cinéma compte 15 postes. L'équipe sera conservée, peut-être complétée au niveau de l'accueil et du contrôle en fonction de la configuration des espaces. Il est à noter que les missions de programmation et d'animation vont évoluer avec la mise en place du cinéma itinérant.


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L’AMÉNAGEMENT CINÉMATOGRAPHIQUE : LA RÉGLEMENTATION EN VIGUEUR DES CDACI (COMMISSIONS DÉPARTEMENTALES) ET CNACI (COMMISSION NATIONALE)


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