3E JOURNÉE - PRÉSENTATION

L’AMÉNAGEMENT CINÉMATOGRAPHIQUE : LA RÉGLEMENTATION EN VIGUEUR DES CDACI (COMMISSIONS DÉPARTEMENTALES) ET CNACI (COMMISSION NATIONALE)

par Eric Busidan, chef de la Mission de la diffusion au CNC et Stéphanie Encinas, avocate spécialiste d’urbanisme et d’aménagement commercial

Matinée animée par Juliette Boutin, déléguée générale du GRAC (Groupement régional d’actions cinématographiques).


> Origines de la réglementation
> LA CDACi : rôle et composition
> Les projets soumis à CDACi
> Critères d’appréciation de la CDACi, puis de la CNACi
> Rôle, composition et fonctionnement de la CNACi
> Les enjeux récents des CDACi et des CNACi
> Le déroulement concret des procédures de recours
> Questions


Présentation de la réglementation en vigueur des CDACi et CNACi, par Eric Busidan

 

I - Origines de la réglementation

Au début des années 1990, l’arrivée des multiplexes qui pouvaient librement s’implanter sur le territoire a poussé les acteurs de l’exploitation cinématographique et les pouvoirs publics à adopter un régime d’autorisation administrative préalable à la délivrance du permis de construire pour la création, l’extension et la réouverture de certains établissements de spectacles cinématographiques (« Loi Raffarin » de juillet 1996). Ce dispositif, adossé à celui de la Loi Royer (1973), a été élaboré sur le modèle de la réglementation applicable aux surfaces commerciales.

Cette procédure, qui visait dans un premier temps les équipements de type « multiplexe », porte aujourd'hui sur la quasi-totalité des établissements (soit toute création de salles dépassant le seuil des 300 places).

Les créations, extensions et réouvertures au public d'établissements de spectacles cinématographiques doivent répondre aux objectifs d'intérêt général suivants :

  • la diversité de l'offre cinématographique,
  • l’aménagement culturel du territoire,
  • la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme.

En tenant compte de la nature spécifique des œuvres cinématographiques, elles doivent contribuer à la modernisation des établissements de spectacles cinématographiques et à la satisfaction des intérêts du spectateur tant en ce qui concerne la programmation d'une offre diversifiée, le maintien et la protection du pluralisme dans le secteur de l'exploitation cinématographique que la qualité des services offerts.

 

II - LA CDACi : rôle et composition

L’autorisation administrative est attribuée ou refusée par une commission départementale d’aménagement cinématographique. Cette commission est présidée par le Préfet de département (qui ne vote pas) et composée de 8 membres, 5 élus et 3 personnalités qualifiées.

Membres élus :

  • le maire de la commune d’implantation du projet,
  • le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'aménagement de l'espace et de développement dont est membre la commune d'implantation ou, à défaut, le conseiller général du canton d'implantation,
  • le maire de la commune la plus peuplée de l'arrondissement, autre que la commune d'implantation,
  • le président du conseil général ou son représentant,
  • le président du syndicat mixte ou de l'établissement public de coopération intercommunale chargé du schéma de cohérence territoriale auquel adhère la commune d'implantation ou son représentant ou, à défaut, un adjoint au maire de la commune d'implantation.

Personnalités qualifiées :

  • une personnalité qualifiée en matière de distribution et d'exploitation cinématographiques, désignée sur proposition du CNC sur la base d’une liste établie de personnalités qualifiées établie par le CNC,
  • une personnalité qualifiée en matière de développement durable, désignée sur une liste établie par les services de la préfecture,
  • une personnalité qualifiée en matière d’aménagement du territoire, désignée sur une liste établie par les services de la préfecture.

 

III - Les projets soumis à CDACi

Sont soumis à autorisation les projets ayant pour objet :

1/ La création d'un établissement de spectacles cinématographiques comportant plusieurs salles et de plus de 300 places et résultant soit d'une construction nouvelle, soit de la transformation d'un immeuble existant ;

2/ L'extension d'un établissement de spectacles cinématographiques comportant plusieurs salles et ayant déjà atteint le seuil de 300 places ou devant le dépasser par la réalisation du projet, à l'exception des extensions représentant moins de 30 % des places existantes et s'effectuant plus de cinq ans après la mise en exploitation ou la dernière extension ;

3/ L'extension d'un établissement de spectacles cinématographiques comportant plusieurs salles et ayant déjà atteint le seuil de 1 500 places ou devant le dépasser par la réalisation du projet ;

3bis/ L'extension d'un établissement de spectacles cinématographiques comportant déjà huit salles au moins ou devant dépasser ce seuil par la réalisation du projet ;

4/ La réouverture au public, sur le même emplacement, d'un établissement de spectacles cinématographiques comportant plusieurs salles et plus de 300 places et dont les locaux ont cessé d'être exploités pendant deux années consécutives.

L’instruction de dossiers est réalisée par les DRAC en CDACi et par les services du CNC (Mission de la Diffusion) devant la CNACi.

 

IV - Critères d’appréciation de la CDACi, puis de la CNACi

LA CDACi (et sur recours la CNACi) se prononce au regard des objectifs d’intérêt général vus précédemment sur les deux critères suivants :

1/ L'effet potentiel sur la diversité cinématographique offerte aux spectateurs dans la zone d'influence cinématographique concernée, évalué au moyen des indicateurs suivants :

a/ Le projet de programmation envisagé et, le cas échéant, le respect des engagements de programmation éventuellement souscrits ;

b/ La nature et la diversité culturelle de l'offre cinématographique proposée dans la zone concernée, compte tenu de la fréquentation cinématographique ;

c/ La situation de l'accès des œuvres cinématographiques aux salles et des salles aux œuvres cinématographiques pour les établissements de spectacles cinématographiques existants ;

 

2/ L'effet du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme, évalué au moyen des indicateurs suivants :

a/ L'implantation géographique des établissements de spectacles cinématographiques dans la zone d'influence cinématographique et la qualité de leurs équipements ;

b/ La préservation d'une animation culturelle et le respect de l'équilibre des agglomérations ;

c/ La qualité environnementale appréciée en tenant compte des différents modes de transports publics, de la qualité de la desserte routière, des parcs de stationnement ;

d/ L'insertion du projet dans son environnement ;

e/ La localisation du projet, notamment au regard des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme.

 

Lorsqu'une autorisation s'appuie notamment sur le projet de programmation cinématographique, ce projet fait l'objet d'un engagement de programmation cinématographique.

Lorsque le projet présenté concerne l'extension d'un établissement, le respect de l'engagement de programmation cinématographique souscrit par l'exploitant fait l'objet d'un contrôle du CNC, transmis à la commission d'aménagement cinématographique compétente pour l'instruction du dossier.

 

V - Rôle, composition et fonctionnement de la CNACi

En dehors des autorités désignées par les textes (notamment le Médiateur du cinéma), toute personne justifiant d’un intérêt à agir pour contester la décision délivrée par la CDACi peut saisir la CNACi d’un recours administratif préalable obligatoire.

La CNACi, saisie dans le délai d’un mois suivant la mesure de publication la plus tardive, doit se prononcer dans le délai de 4 mois suivant la saisine.

Elle se prononce sur les mêmes critères que ceux examinés par la CDACi même si le projet peut connaître quelques modifications, notamment sur sa programmation.

La CNACi est composée de 9 membres (3 issus des grands corps, 3 désignées directement ou indirectement par le ministère de la Culture, 1 par le ministère chargé de l’Urbanisme, 2 par les présidents des Assemblées parlementaires).

Seules les décisions de la CNACi sont contestables en justice, devant la Cour administrative d’appel compétente.

 

VI - Les enjeux récents des CDACi et des CNACi

Ils concernent essentiellement :

> l’aménagement du territoire, la protection des cœurs de ville, notamment pour les villes faisant partie du Plan Action Cœur de Ville mis en place par le gouvernement,

> l'adéquation entre les documents d’urbanisme locaux (PLU, SCOT, SDRIF) et le choix d’implantation du cinéma,

> l’apport du projet à la diversité cinématographique, la prise en compte des engagements de programmation au travers du projet de programmation.

 

Le déroulement concret des procédures de recours devant la CNACi, puis la cour administrative d’appel, par Stéphanie Encinas

Lorsque l'autorisation administrative est délivrée par la CDACi à un opérateur de multiplexe, la salle impactée par cette nouvelle ouverture doit agir rapidement car les délais de recours sont courts. Pour fonder son intérêt à agir, il lui faut d’abord vérifier si la salle est bien située dans la ZIC (Zone d'Influence Cinématographique) du projet. À défaut, il lui faut contester l’exclusion de cette ZIC. Puis elle doit réunir tous les documents liés au projet et les analyser.

En effet, lorsqu’elle est saisie, la CNACi reprend le dossier du projet, le rapport de la DRAC et mène une seconde instruction au regard des arguments qui auront été apportés. Elle a donc besoin d'arguments concrets et objectifs pour instruire efficacement un dossier.

À ce titre, le rapport de la DRAC se révèle riche en informations. Il importe également de maîtriser l'ensemble des éléments présentés dans le dossier initial qui peut contenir des informations sur les flux de circulation, sur le respect de l'environnement (comme l'imperméabilisation des sols qui peut être un élément sanctionnable en CDACi). Si la future salle s'inscrit dans un projet de ZAC, il faut vérifier si celui-ci est mûr, si la ZAC sera bien autorisée. Il ne faut pas non plus hésiter à consulter le PLU (Plan local d'urbanisme) ou le SCOT (Schéma de cohérence territoriale).

Stéphanie Encinas recommande de faire attention à dépassionner le débat. En face, les opérateurs de multiplexes font systématiquement appel à un conseil qui n’hésitera pas à détricoter toute l’argumentation présentée dans le recours.

Les CNACi et CNACi connaissent des réformes tous les deux ans. Le cabinet Letang Avocats a eu l’opportunité d'y participer en travaillant notamment avec le Sénat sur la loi Elan. Le commerce est un véritable enjeu pour les élus mais, avec le cinéma, on passe du domaine du commerce à celui de l'urbanisme de l'environnement et de la diversité cinématographique, avec toutes les nuances que cela comporte : par exemple, on ne peut pas refuser l'ouverture d'un commerce en périphérie au motif qu'il aurait un impact sur le centre-ville, alors qu'en matière de cinéma, cet argument est valide.

Après un recours infructueux en CNACi, il est possible de déposer un recours en appel au tribunal administratif. Le juge pourra alors apporter un éclairage sur les critères d'appréciation qui permettent l'ouverture d'une salle. Or c'est précisément ce qui manque en matière de cinéma : les commissions ont besoin de cet éclairage du juge pour préciser les critères et tenir compte des évolutions. En matière d’aménagement commercial, les critères d’évaluation ont évolué : constatant que les centres-villes sont aujourd'hui en grande difficulté, les députés et sénateurs ont désormais mis en avant la notion de vacance commerciale.

 

QUESTIONS

Les associations nationales représentatives de salles de cinémas peuvent-elles déposer un recours auprès de la CNACi au nom de leur intérêt à agir ?

Eric Busidan évoque le cas récent d'un recours déposé par une association nationale sans que celle-ci ne représente aucune salle au sein de la ZIC en question : la CNACi a admis le recours mais, juridiquement, ce recours n'est pas légitime. Il faut que l’association représente un de ses membres impactés par le projet et que, dans les statuts de l'association, figure expressément la possibilité d’exercer un recours au nom d'un membre. La CNACi a donc dans ce cas admis de façon assez libérale l'intérêt à agir. Seuls la cour administrative en appel et le Conseil d'État pourront trancher définitivement cette question.

Stéphanie Encinas ajoute qu'en matière de commerce, ce type d'action ne tiendrait pas et, si l'on fait un parallèle avec les permis de construire, il faudrait que l’association de salles ait un intérêt directement touché. Stricto sensu, le recours doit être porté par l'exploitant d'une ZIC. Dans ce cas, la commission pourrait alors tenir compte des arguments du groupement national qui viendrait en appui.

Peut-on penser l'aménagement cinématographique du territoire à l'aune d’enjeux nationaux ?

Eric Busidan rappelle que la jurisprudence du Conseil d’État regarde l’intérêt de la personne par rapport à l’objet de la décision : l’implantation d’un cinéma local. L’intérêt à agir n’est pas l’intérêt général de l’industrie, mais il est lié au projet en lui-même.

Selon Stéphanie Encinas on ne peut pas se référer à l'intérêt général en termes d'aménagement cinématographique. L'objet de la demande est une autorisation administrative et c'est le juge administratif qui tranche.

Lorsqu'un porteur de projet dépose un recours devant la cour administrative, peut-il dans le même temps déposer un nouveau projet ?

Eric Busidan répond que c'est possible en effet, à condition que le nouveau projet soit substantiellement différent du premier, par exemple qu'il ait soustrait une ou deux salles. Dans ce cas il est possible qu’à terme le porteur de projet voie ses deux demandes d'autorisation acceptées ! Il faut avoir à l'esprit que la position des juges est assez libérale : 85 % des demandes d'autorisation sont acceptées et les annulations d'autorisation portent uniquement sur des erreurs de procédure. En regard, 50 % des refus sont annulés. Il est en effet plus difficile pour la CNACi de motiver un refus que de justifier une autorisation.

Stéphanie Encinas rappelle que le juge est un technicien du droit qui se réfère aux textes juridiques et à la jurisprudence. Or, comme il y a moins de jurisprudence en matière de cinéma qu'en matière de commerce, le juge, qui n'a pas la connaissance du terrain et ne se rend pas nécessairement compte des enjeux de l’aménagement cinématographique, sera tenté de se référer à la jurisprudence de l’aménagement commercial. Dans ces conditions, non seulement ses décisions pourront sembler incohérentes mais surtout, en commerce, le principe reste l'autorisation, quasi systématique, et le refus l'exception.


LIRE LA SUITE DE LA RESTITUTION DU VENDREDI 16 NOVEMBRE :

LES CDACI ET CNACI EN QUESTION(S)


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RESTITUTION COMPLÈTE