JPRO 2024 / Matinée 7 mars - Discussion croisée

  • Matinée du 7 mars - Création cinématographique, Filmer le geste sportif

Gestes sportifs et expérimentations cinématographiques

Dialogue entre trois artistes autour de leurs tentatives de représentation de disciplines sportives, du 16 mm à la 3D.

Avec Marion Lasserre, artiste nouveaux médias, bénéficiaire de la commande audiovisuelle du CNAP « Depuis les tribunes », Frédérique Menant, documentariste et cinéaste, membre de l’Etna et de l’Abominable, Valentin Pinet, cinéaste et co-fondateur de l’association de réalisation et de production Images fracas (Drôme).

Animée par Thomas Choury, chercheur spécialisé en sport et cinéma.


Gymnastes de Frédérique Menant

Frédérique Menant, réalisatrice, s’est orientée vers le documentaire de création après des études d’anthropologie. Au sein de l’Etna, puis de l’Abominable, deux laboratoires d’artistes, elle réalise des formes courtes à caractère poétique en travaillant le support argentique super 8 et 16 mm.

Son film Gymnastes a été réalisé grâce à une bourse accordée par l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance). À travers ce film, Frédérique Menant a voulu montrer la fabrique de corps sportifs en se plaçant du point de vue des gymnastes et non d’un.e spectateur.rice extérieur.e. Le public est habitué à voir des compétitions, pas des entrainements. Frédérique Menant s’est demandé comment filmer ces entrainements, au cours desquels les sportif.ve.s sont parfois amené.e.s à vivre des moments euphoriques de suspension, à travers la répétition des mêmes gestes. Le sport peut être vu comme cette quête d’un lâcher prise, d’une annihilation du temps dans la performance. La représentation du sport tend à saisir cet idéal. Cependant la première impression de Frédérique Menant en assistant à ces entraînements a surtout été de voir des corps qui chutent. Le long plan de la gymnaste effondrée sur le tapis en témoigne, en opposition avec les autres gymnastes, triomphant.e.s ou travaillant à l’être.

Chercher à décomposer les gestes avec le montage est une manière d’entrer dans la bulle de concentration des gymnastes, dont l’expérience intérieure pourrait être rapprochée d’un ralenti filmique. Le travail du réalisateur polonais Bogdan Dziworski, notamment sur le son, l’a beaucoup influencée.

Décorps de Marion Lasserre

Marion Lasserre est une artiste nouveaux médias spécialisée dans la recherche et la spéculation, évoluant dans le domaine du « phygital » : elle traduit les données en expériences sensorielles qui prennent la forme de récits, de films et d’installations. Elle travaille actuellement sur Décorps, un film expérimental en 3D qui dévoile les connexions entre arts martiaux et mathématiques, dans le cadre de la résidence d’artistes Depuis les tribunes, commande du CNAP (Centre national des arts plastiques) en partenariat avec l’Archipel des Lucioles.

Ce film en cours de montage est issu d’une résidence de Marion Lasserre dans un centre d’arts martiaux vietnamiens de la banlieue de Toulouse. Dans cette approche, le sport produit directement son image : le mouvement est traduit par des capteurs de mouvement, le son par des capteurs respiratoires, et le montage est décidé par des capteurs d’électrocardiogramme. Il y a interpénétration complète entre le sport et la fabrique de l’image. Le fait est qu’on utilise de plus en plus de capteurs dans le sport professionnel, dans une optique d’amélioration des performances. Marion Lasserre a voulu intégrer cette dimension à la fabrication de son film en interrogeant ce besoin de quantifier notre corps, et en observant comment l’activité physique pouvait se retranscrire mathématiquement.

Dans ces images, le corps et la pesanteur qui lui est liée n’existent plus. Elles sont comme une version ultime de cette représentation du sport qui tend à effacer la fatigue, la défaite. Comme une image du sportif du futur. On peut y voir aussi la représentation d’un rêve, avec ses formes monstrueuses.

Refaire le tour de Valentin Pinet

Diplômé de l’École d’Art d’Annecy Alpes, des Beaux-Arts de Paris et de l’École de documentaire de création de Lussas, Valentin Pinet investit des territoires sur le long terme et s’en imprègne pour construire des films dans lesquels les habitant.e.s deviennent personnages. Aujourd’hui, ses films sont principalement réalisés dans la Drôme où il a cofondé Image fracas, une association de cinéma local.

Refaire le tour est le fruit d’un travail d’atelier réalisé dans le cadre de « l’Été culturel » en Haute-Savoie. Le dispositif consistait à filmer des cyclistes adolescents d’un club d’Annemasse rejouant l’étape de l’Alpe d’Huez remportée par le Français Pierre Rolland en 2011. Au fur et à mesure de la montée, les images de la « vraie » course se superposent à celles filmées par Valentin Pinet, donnant l’illusion que les lieux sont les mêmes. Il s’agissait de reproduire la course télévisée avec des moyens limités, enjeu technique qui intéressait le réalisateur, et de mettre en place une chorégraphie assez précise pour que le jeu de superposition fonctionne. Le tournage de trois jours s’est apparenté à un tournage de fiction, et le son a été refait intégralement en post-production.

À l’origine, il y a la passion que Valentin Pinet nourrit pour le Tour de France, qui renvoie pour lui à des images d’enfance. C’est pour cela qu’il a voulu faire rejouer cette course par des jeunes : une manière de rappeler la dimension ludique du sport mais aussi de renvoyer à l’imaginaire sportif des enfants qui s’identifient à leurs héros.