JEUDI 5 NOV - DISCUSSION AVEC CHRISTOPHE HERREROS

REMAKE, RE-FAIRE, OUI MAIS POURQUOI ?

Détournements, citations, appropriations et réemplois d’images... 

  • MATINÉE (9H30 – 11H30)

Création cinématographique


RENCONTRE

Christophe Herreros, artiste vidéaste

Discussion autour de la démarche artistique de Christophe Herreros à partir de la projection de certains de ses travaux.

Matinée animée par Léa Colin, chargée de mission création à Cinémas 93.

« Après la déconstruction des codes du cinéma dans l’art des années 1990, serait-on en train d’assister à l’émergence d’un rapport renouvelé au cinéma mainstream ? Reconnaissant la puissance spécifique des blockbusters à agir sur le réel, Christophe Herreros, qui a participé au 55e Salon de Montrouge en 2010, n’hésite pas à employer certains ressorts émotionnels et stéréotypes de genre. Un romantisme aride parcourt ses films, explorant le potentiel de la fiction à modifier et faire voyager l’imaginaire des lieux. » Pedro Morais


Introduction

Léa Colin introduit cette discussion qui vient prolonger la réflexion sur le remake menée par Mathieu Macheret, en proposant de découvrir la démarche artistique de Christophe Herreros. Il paraissait intéressant de partager ici le travail d’un artiste œuvrant dans le champ des arts visuels et pas seulement du cinéma. Les échanges qui existent entre les arts plastiques et le cinéma, en effet, sont féconds. L’art contemporain s’est notamment souvent frotté à la notion de remake : on peut citer le travail de Douglas Gordon dont l’installation 24 Hour Psycho (1993) reprend le film d’Alfred Hitchcock dans une version ultra ralentie, désamorçant ainsi la question du suspense ; Pierre Huygue, qui a retourné Fenêtre sur cour quasiment plan par plan mais avec des acteurs amateurs dans sa pièce vidéo Remake (1994-95) ; ou encore Brice Dellsperger et sa série Body Double débutée en 1995.

Le cinéma est très présent dans les brèves vidéos que réalise Christophe Herreros, il en constitue même la matière première : que ce soit à travers la reprise de codes de genres très identifiés ou à travers la pratique du remake.

 

Discussion

Léa Colin amorce la discussion et demande à Christophe Herreros ce qui, en tant qu’artiste, le pousse à revisiter le cinéma dans son travail.

Le cinéma traverse le travail de Christophe Herreros depuis ses débuts. Aujourd’hui, il en est même le centre puisqu’il se trouve actuellement occupé à la préparation d’un long-métrage. Lorsqu’il est entré aux Beaux-Arts, Christophe Herreros sortait d’une école de cinéma californienne, Calarts. Par la suite, durant sa formation, il a appris à déconstruire le cinéma. Son travail qui se compose d’une série de courts films, s’inspire volontairement et directement du cinéma tout en essayant de proposer, à travers ces courts fragments, une autre  façon de regarder. 

Il en présente un premier exemple : un film de 12 secondes, qui est la chute d’un autre film, tourné en Californie en 2008 lors de son passage par Calarts. En visionnant les rushes de ce film qu’il n’a finalement jamais monté, il s’est arrêté sur un plan tourné par la chef opératrice pour terminer une bobine de pellicule, montrant l’actrice principale en train de faire une pause. À ses yeux, ce plan condensait tout ce qu’il avait voulu mettre dans son film, et qui n’y était pas.

Il montre ce film à chaque fois qu’il expose son travail car pour lui, il en constitue une clé de lecture. Ce premier essai, réalisé à partir d’une expérience manquée, a été le déclencheur d’une démarche consistant à se servir de la matière cinéma pour la condenser au maximum.

 

End of Roll (2008)

Visionner la vidéo (mdp : CH_REMAKE)

Christophe Herreros précise la nature du film qu’il souhaitait faire à l’origine, un film expérimental suivant des adolescents perdus dans le désert californien, à la manière de Gerry de Gus Van Sant. Dans l’unique plan de 12 secondes qu’il en a conservé, la comédienne, qui ne sait pas qu’elle est filmée, vient se placer au centre de l’image de manière naturelle, avant que la bobine se termine dans un brûlement de pellicule. Christophe Herreros avait demandé à la chef opératrice de filmer la comédienne à ce moment précis, sans trop savoir pourquoi. Quand il l’a découvert au montage, le plan a soudain fait sens pour lui, à tel point qu’il s’est substitué au projet d’origine. La raison d’être de ce film réside pour lui dans l’intuition qu’il a eue, au tournage, de filmer ce moment a priori inutile, et par la sensation de la réussite de ce plan à nouveau fortement éprouvée au montage.

 

Once Upon the End (2009)

Visionner la vidéo (mdp : CH_REMAKE2)

Christophe Herreros présente ce second film qu’il a réalisé en 2009, alors qu’il était étudiant aux Beaux-Arts. Ce film témoigne de son envie de se confronter au format court ainsi qu’au cinéma de genre, avec une volonté de lui rendre hommage. L’idée lui en a été inspirée par la fin d’un épisode de série télé, un plan de fin très classique montrant des policiers sur une route, que la caméra quitte pour s’envoler vers le ciel, ouvrant sur l’épisode suivant. Christophe Herreros souhaitait jouer sur cette figure de style, en partant d’une mise en scène attrayante (un shérif à côté d’une belle voiture, au bord d’une route très cinématographique) que la caméra quitte dans un mouvement de grue ascendant, pour dévoiler un hors champ en apparence plus pauvre. Le plan dérobe au regard du spectateur ce qui était attendu, mais le surprend, car alors qu’on ne l’attendait plus, l’action finit par arriver. Le mode de diffusion du film (en boucle) accentue cet effet d’attente qui est ainsi à chaque fois renouvelé.

L’effet de déception naît de l’écart entre la forme empruntée par le film, qui évoque une célèbre scène de La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock, et ce qui se passe finalement sous nos yeux. L’idée est d’attirer le spectateur et de le détourner, pour l’amener à faire l’effort d’imaginer ce qui n’est pas montré. 

 

De cape et d’épée (2014)

Visionner la vidéo (mdp : CH_REMAKE3)

Christophe Herreros commente ce troisième film intitulé De cape et d’épée. Il s’agit d’un film de 6 minutes, cette fois sonore et composé de trois plans séquence. Le film a été tourné sans prise de son direct, car à l’origine il devait être muet. Christophe Herreros a eu l’idée d’ajouter du son en post production (ambiances, bruitages et dialogues postsynchronisés). De l’époque où il regardait toutes sortes de films à la télévision, il a en effet gardé une grande affection pour l’esthétique du doublage. Pleinement assumé ici, le doublage apparaît comme une nouvelle couche de fiction dans ce film qui rejoue les clichés du film de cape et d’épée en les intégrant dans une recherche plastique.

Ce film trouve son origine dans la mémoire de cinéphile de Christophe Herreros. Il a toujours aimé les films de cape et d’épée : c’est donc un film de souvenirs. Pour autant, il n’a pas revu ces films pour préparer le tournage. Il a préféré faire un assemblage de ce que sa mémoire en avait gardé. La limite entre la caricature et l’hommage y est infime car en définitive, ces nuances n’existent que dans le regard du spectateur.

Interrogé sur le financement de son film – qui semble bénéficier de moyens techniques plus importants que les précédents – Christophe Herreros raconte qu’il l’a en grande partie autoproduit, avec une aide de la DRAC Languedoc-Roussillon et des financements venant de galeries ou de promesses d’achat de collectionneurs. Le film a coûté 15 000 euros. Christophe Herreros sortait alors du Fresnoy. En 2014, avec les progrès du numérique, les moyens techniques auxquels il pouvait accéder étaient très différents de ceux dont il avait pu bénéficier pour ses films précédents. Le travail sur les costumes, les décors, les mouvements de caméra, achèvent de lui donner une couleur « cinématographique ».

Questionné par un participant sur les conditions de monstration de son travail en salle d’expositions et/ou en salle de cinéma, Christophe Herrerosexplique que dans le domaine de l’art vidéo, le mode de diffusion des films est évidemment essentiel, et fait partie intégrante de la recherche. Pour lui, l’espace de la galerie est intéressant à exploiter. Il aime pouvoir projeter ses films sur de grands écrans, dans des salles sans banc pour que les visiteurs soient en mouvement face aux images. Il essaye par ailleurs de créer des liens dans la manière dont les vidéos sont mises en espace au sein de la galerie.

© De cape et d’épée - Christophe Herreros

 

Retour à la Crique de Cabot (2017)

Visionner les vidéos (mdp : CH_REMAKE4)

Christophe Herreros est parti aux Etats-Unis en 2017 avec l’aide du CNAP (Centre national des arts plastiques). Lors de ce voyage, il a cherché à localiser une ville de fiction, Cabot Cove, où se déroule une célèbre série policière des années 80, Arabesque (Murder, She Wrote). Dans la série, la ville est située dans le Maine, sur la côte Est des États-Unis, mais le lieu de tournage se trouve en réalité en Californie. Cependant, en explorant le Maine, Christophe Herreros a fini par trouver une ville qui ressemblait beaucoup à Cabot Cove, nommée Boothbay Harbour. Il a alors proposé à la population locale de rejouer des scènes de la série. Cela a donné naissance à un ensemble de vidéos très courtes qui reprennent quasiment plan pour plan des moments d’Arabesque.

Il explique la genèse de ces vidéos. Au hasard de ses visionnages de la série, il a composé une banque d’extraits qui lui paraissaient intéressants à refaire. Ensuite, lors des repérages, il a essayé de trouver des lieux qui correspondaient aux scènes sélectionnées. Les acteurs, des habitants de Boothbay Harbour ayant répondu à son annonce, n’ont pas revu les scènes originales de la série avant de les retourner. Cependant, presque tous connaissaient Arabesque, et entretenaient un rapport particulier avec cette série, qui fait partie du patrimoine télévisuel américain.

Les vidéos sont montrées en regard des scènes originales dont elles sont inspirées.

La première met en scène un cocktail interrompu par l’explosion d’une voiture. Christophe Herreros a utilisé ici le son original de la série et a également intégré le plan original de l’explosion de la voiture.

Christophe Herreros commente la deuxième vidéo. Cette fois, la façon de rejouer la scène originale lui a été inspirée par sa rencontre avec un acteur, Jack. La nouvelle version de la scène opère une mise en parallèle entre la vie de cet acteur et celle du personnage qu’il interprète. On entend ainsi Jack parler en voix off sur les images du tournage du remake qui n’ont pas de rapport apparent avec ce qu’il dit. Différentes couches se superposent, dans une scène hantée par la fiction. Le remake intègre cette fois un élément de réalité, qui a trait à la vraie vie de Jack. Pour Christophe Herreros, cette voix off est porteuse d’un ailleurs qui vient enrichir les images. Aujourd’hui, il prépare un film entièrement inspiré par Jack et son histoire.

Comme Mathieu Macheret l’a évoqué dans sa conférence, la pratique du remake est pour lui une manière de maintenir en vie des souvenirs ou des formes jugées obsolètes, en les déplaçant et en se les réappropriant.

Léa Colin lui demande si ce travail a un prolongement dans des ateliers pédagogiques.

Christophe Herreros confirme qu’il anime régulièrement des ateliers cinéma. Il aime montrer à des enfants ou à des jeunes adultes que leur culture, la culture populaire, peut être saisie et travaillée par l’art. Dans ces ateliers, ils s’emploient à refaire des scènes existantes avec soin, dans une forme qui leur plaise et qui leur parle. C’est aussi l’occasion de déconstruire les choses et d’expliquer comment un film est fabriqué. Dans cette liberté et cette économie de moyens, il retrouve quelque chose de la démarche de ses débuts et en tire une énergie qui infuse son propre travail.

Il donne l’exemple d’un film d’atelier tourné en 2019 à la Cité du Cinéma de Saint-Denis avec l’association Orange Rouge : Je vais vous dire un secret. Le film met en scène une histoire policière aux allures absurdes et a été entièrement écrit par les adolescentes de l’IME Les Moulins Gémeaux à Saint-Denis. Le tournage en studio avec un travail sur les éclairages et la fumée a permis d’aborder avec le groupe sur les stéréotypes du film de genre.


> RESSOUrces complémentaires <


> LA VERSION PDF DE LA RESTITUTION 2020 <