À LA RECHERCHE DES POINTS DE VUE DES JEUNES ENFANTS

Conférence par Sylvie Rayna, psychologue et maître de conférences en sciences de l'éducation, responsable du programme transversal « petite enfance » d'EXPERICE de l’Université Paris 13 - Sorbonne Paris Cité. 


> Repères chronologiques
> La lecture, pratique participative
> Le point de vue des enfants
> Questions du public
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Captation vidéo de la conférence


Cette intervention envisage la relation entre le ludique et le culturel et s’articule autour de la notion d’attention. L’approche envisagée par Sylvie Rayna est principalement psychologique, mais pas seulement. Elle travaille en effet au sein de plusieurs équipes pluridisciplinaires : le Cresas (Centre de recherche de l'éducation spécialisée et de l'adaptation scolaire de l’Institut de recherche et de documentation pédagogique), Experice (Centre de recherche interuniversitaire expérience ressources culturelles éducation de Paris 13), mais aussi dans le cadre de réseaux internationaux.

 

Repères chronologiques

Les premiers travaux auxquels elle a participé au début des années 70 portaient sur le jeu libre (sans consigne). C’est à cette époque que les premières explorations sur les tout petits ont débuté. On étudiait les relations entre les bébés et la logique, les bébés et la physique. On a constaté que les tout petits introduisent de l’ordre : ils classent, ils font des séries, ils mettent ensemble ce qui va ensemble, sans que cette contrainte leur soit imposée. Des études en Iran et aux Etats-Unis allaient dans le même sens et il semble que cela soit une pratique propre à l’espèce humaine (les grands singes ne se comportent pas de la sorte).

Or on n’imaginait pas que les bébés pouvaient se concentrer (ils peuvent en fait passer une demi-heure, voire une heure à manipuler du matériel), ni qu’ils pouvaient communiquer entre eux (on a constaté que des bébés inscrits en crèche chez les moyens pouvaient se regrouper par deux ou trois, voire quatre, et instaurer des jeux de courses et de poursuites spontanés).

Il a donc été décidé de proposer du matériel à manipuler à des petits groupes et non plus seulement à des enfants pris isolément. Dans les trois-quarts des cas, les séquences de jeu ont été partagées spontanément. Cela a permis de forger des arguments de poids pour la mise en place de structures d’accueil collectif : l’adulte n’est pas le seul éducateur !

Jean Piaget a cherché à mettre au jour le cheminement de la pensée des enfants à partir de ces observations. Un enfant va reprendre des idées à un camarade et les modifier. Ce principe d’homologie se retrouve également chez les adultes chez lesquels on observe des phénomènes de reprises d’idées qui ne se réduisent pas à de simples copier-coller.

Dans le cas d’expériences ludiques, on constate des différences d’un pays à l’autre. En effet, l’ancrage culturel des pratiques ludiques est très important et il faut bien distinguer les mécanismes psychologiques universels des constructions qui passent par l’expérience.

En 1979, on a proposé à des enfants accueillis en crèche à Paris, en sections mélangées, d’assister à un spectacle de marionnettes. On a constaté que, dans la foulée, ils improvisaient eux-mêmes des spectacles : à l’heure du déjeuner, ils jouaient des petites scènes avec des aliments au bout des doigts et le même phénomène se reproduisait à la maison ou dans les transports. Les enfants-spectateurs attentifs étaient passés « de l’autre côté », en particulier ceux âgés de deux à trois ans. À travers ces reprises, ils tentaient de maîtriser ce qu’ils avaient pu voir.

Si l’on étudie le langage employé dans le cadre de ces petits spectacles spontanés construits à partir de séquences vécues, observées ou inventées, on remarque les formes suivantes :

  • Le « Si… alors » : une forme de raisonnement.
  • Une façon de tenir l’attention du public à travers le langage.
  • Des constructions sociales communes qui mettent en scène les relations enfants/adultes, enfants/éducateurs, avec toute une palette dans ces relations.

Ils expriment un point de vue sur le monde social avec beaucoup d’humour. Une des premières éducatrices à avoir introduit les spectacles de marionnettes en crèche a fondé un club. Celui-ci s’est développé et des relations inter-crèches sont nées de ce projet. Depuis, des professionnels se transmettent les pratiques.

En 1989, un protocole d’accord sur l’éveil culturel a été signé pour une politique interministérielle incitative pour la petite enfance. Les parents y ont été associés et un volet formation y figurait. Une enquête nationale a été lancée pour évaluer la politique de démocratisation de la culture envers les tout petits. En dominantes de ce protocole d’accord figuraient la lecture et la musique.

À cette époque, en crèche et en maternelle, la lecture n’était que très peu envisagée sous l’angle du plaisir. On publiait d’ailleurs peu de beaux albums jeunesse. A la maternelle, une tradition artistique existait, héritée des années soixante-dix, période « expressive », mais elle a peu évolué dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Depuis, on assiste à une forme de reprise à la hausse de ces problématiques. Lors d’une première enquête effectuée entre 1990 et 1995, les acteurs du secteur ont pris la mesure du fait que les arts vivants n’étaient pas financés. Sylvie Rayna et ses collègues ont alors eu connaissance d’une expérimentation menée dans les Pays de la Loire par Brigitte Lallier-Maisonneuve qui a présenté le spectacle multivocal Archipel de Laurent Dupont, véritable chef-d’œuvre, conçu pour les tout-petits à partir de 10 mois.

  • En savoir + :

Le spectacle multivocal Archipel de Laurent Dupont

 

La lecture, pratique participative

Depuis 1999, Sylvie Rayna parraine l’association L.I.R.E (Le Livre pour l'Insertion et le Refus de l'Exclusion) à Paris qui s’inscrit dans la pratique d’A.C.C.E.S. (Actions Culturelles Contre les Exclusions et les Ségrégations). La lecture est pensée comme individualisée mais partagée : elle vise la participation de tous, professionnels, parents, enfants. Des lectrices ont observé, à l’occasion d’une expérience menée dans des salles d’attente de PMI, que les enfants repèrent très rapidement ceux qui leur plaisent, dans un choix d’albums placés et mis en scène. Ils sont attentifs à la charte graphique, mais aussi à la qualité du texte et des illustrations.

Les albums de comptines et de pratique du lire-chanter sont appréciés : le chant est premier, les enfants sont sensibles à la musicalité des mots, à la musicalité de la communication préverbale, voire intra-utérine. Un des albums privilégié est Pomme de reinette illustré par Julia Chausson. Il a même été utilisé pour un bébé né à 1,7 kg auquel on a fait écouter beaucoup de comptines. La lecture et le chant permettent une humanisation culturelle dans un univers médical. Chez lui, le papa a poursuivi cette pratique.

Autre exemple d’album jeunesse qui met en avant la beauté artistique et des images : Bateau sur l’eau illustré par Martine Bourre (éd. Didier Jeunesse). On constate que la participation des enfants sera d’autant plus grande que les images seront complexes et variées.

Parmi les albums les plus recherchés par les enfants, on retrouve les albums de comptines, mais aussi les albums découverts à l’école, traités de façon pédagogique qui seront repris autrement.

Sylvie Rayna a été lectrice dans un square du 19e arrondissement de Paris, dans le cadre des Bibliothèques hors les murs. Elle précise que les enfants peuvent adopter soit une participation centrale soit une participation périphérique. L’essentiel est de mettre en place une attention conjointe avec eux. Le regard est une forme de participation et de réflexion intenses.

 regardez la vidéo de la conférence à 12min57 

 

Le point de vue des enfants

Pour interroger directement le point de vue des enfants, il peut être intéressant de se référer aux travaux d’Alison Clark qui a permis à de jeunes enfants de participer à ses recherches. Dans cette lignée, on peut proposer aux petits la pratique du dessin, du modelage, de la photographie, envisager des interviews ou encore des visites guidées menées par des enfants. En Suède, on a mené des recherches sur la qualité des jardins des structures suédoises en s’appuyant sur l’idée que l’enfant était un expert de sa propre vie. On a ainsi positionné l’enfant comme influent pour évaluer sa qualité de vie, y compris des enfants de niveau préscolaire.

Chez Experice, les chercheurs ont commencé à travailler sur le point de vue de l’enfant à partir de quatre ans et des études ont été menées dans plusieurs pays. On a montré aux enfants un film d’une vingtaine de minutes où ils découvrent d’autres enfants à l’école. Les petits spectateurs avaient la possibilité de commenter ces vidéos et de faire des arrêts sur image. Il en ressort que les moments de jeu avec consignes sont désignés par les enfants comme du « travail » : la consigne fonctionne comme un indice aux yeux des petits pour repérer s’il s’agit d’un moment de jeu ou non.

Le véritable « jeu », du point de vue des enfants, correspond au jeu libre auquel ils peuvent s’adonner lorsqu’ils ont terminé les ateliers. L’espace de jeu préféré est la cour, surtout celle des autres pays qui représente un vrai terrain d’aventures ! Le point de vue des enfants correspond donc à notre point de vue de chercheur : ils ont une expertise.

Dans le cadre d’une autre étude, on a fourni à des enfants de deux ans (en maternelle, en classe passerelle, en crèche ou jardin d’enfant) des appareils photo. On leur a demandé de photographier ce qu’ils aimaient et ce qui les intéressait le plus. On ne photographie jamais le monde, mais un monde particulier, celui qui fait sens pour nous. Les enfants ont manifesté une forte participation.

Ils ont en majorité photographié des « agents socialisateurs » :

1) Les copains, pris individuellement ou en groupes, sous toutes leurs formes représentent la majorité des clichés.

2) Les adultes.

3) Le cadre matériel. On a constaté un intérêt particulier pour le sable, la terre, le naturel, le végétal.

Les enfants explorent consciencieusement l’ordinaire. On observe un goût pour la beauté des déchets, ils regardent ce qui nous semble insipide. Ils traquent les lumières, les ombres, les reflets. Il s’agit là d’une expérience créatrice qui montre l’invu, les objets abandonnés, l’absence. Des photographies se concentraient sur les formes du paysage : les escaliers, des barreaux, des bancs, des rayures, certaines sur des couleurs pures, visibles sur des jouets par exemple, ou bien des flaques.

On peut dans cette perspective se référer aux réflexions de Serge Tisseron sur la pensée et les actes. Ici les enfants documentent leur vie, ils deviennent tout autant reporters qu’artistes. S’agit-il d’un jeu ? On se trouve à une frontière mais aussi sur un terrain d’inclusion qui permet de prévenir les discriminations.

Quant au cinéma, ces réflexions ouvrent sur les questions suivantes : quelle offre ? Quelles pratiques d’accompagnement ? Quelles pratiques de spectateurs ? Qu’en pensent les enfants ?

 regardez la vidéo de la conférence à 56min18 

 

QUESTIONS DU PUBLIC

Y a-t-il des choses que les enfants n’ont pas photographiées ?

Gilles Brougère : Les lieux interdits ! Certains ont photographié les portes menant à des lieux interdits. Les enfants ont par ailleurs profité de cette action pour faire des choses qu’ils n’avaient pas le droit de faire en temps normal : aller voir d’autres classes par exemple. Ils se sont émancipés par le pouvoir d’agir.

 regardez la vidéo de la conférence à 57min36

 

CAPTATION VIDÉO DE LA CONFÉRENCE

 


LIRE LA SUITE DE LA RESTITUTION DU MERCREDI 15 NOVEMBRE :

PEUT-ON ENSEIGNER LE PLAISIR DU CINÉMA ? RÉFLEXIONS SUR LES DISPOSITIFS NATIONAUX D'ÉDUCATION À L’IMAGE


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