VENDREDI 6 NOV - TABLE RONDE

  • MATINÉE (9H30 – 12H)

Question d'exploitation cinématographique

Les salles indépendantes art et essai se réinventent face à la crise

En partenariat avec l’AFCAE (Association française des cinémas art et essai) et Europa Cinemas


TABLE RONDE

Le rôle des collectivités territoriales dans l’accompagnement des salles indépendantes art et essai aujourd’hui et demain 

Quelles missions de service public menées par les salles justifient aujourd’hui l’intervention des collectivités territoriales ?
L’éducation au cinéma et aux images est au cœur des préoccupations des élus : dans ce domaine, la place des salles de cinéma est-elle seulement à défendre ou bien à réinventer ?
Comment consolider le travail de médiation en direction des publics qui fait la force des cinémas art et essai ? Quel soutien des pouvoirs publics au recrutement de médiateurs culturels ?
Les séances en plein air ont fleuri pendant l’été culturel, le plus souvent initiées par les collectivités territoriales : quelle place pour les cinémas dans leur mise en œuvre ?

Nadège Lauzzana, présidente de l’ADRC (Agence pour le développement régional du cinéma), adjointe au maire d’Agen et élue à l’agglomération d’Agen, co-fondatrice des Montreurs d’Images
Alexie Lorca, adjointe à la culture au maire de Montreuil et vice-présidente d’Est Ensemble en charge de la culture de l’éducation populaire, au sein d’une collectivité qui gère directement 6 cinémas en Seine-Saint-Denis
Rafaël Maestro, directeur de Ciné-Passion en Périgord, président de CINA (Cinémas indépendants de Nouvelle-Aquitaine) et responsable du groupe des associations territoriales de l’AFCAE
Boris Spire, directeur de l'Écran à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)

Table ronde animée par Vincent Merlin, directeur de Cinémas 93


> INTRODUCTION
> TRAVAILLER AVEC LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
> UN CONTEXTE DE CRISE
> SANTÉ ET CULTURE
> RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES


INTRODUCTION

Vincent Merlin introduit cette table ronde, consacrée au rôle que peuvent tenir les collectivités territoriales dans l’accompagnement des salles de cinéma indépendantes art et essai, face à la crise qu’elles traversent aujourd’hui et dont les effets pourraient durer dans les années à venir. Parmi les intervenants conviés pour en débattre figurent deux élues, Nadège Lauzzana, adjointe au Maire de la ville d’Agen et Alexie Lorca, adjointe au Maire de Montreuil, ainsi que deux exploitants, Rafaël Maestroet Boris Spire.

Dans ce contexte de dépense publique galopante et de difficiles arbitrages financiers, comment s’adresser aux élus des territoires ? Quel argumentaire mettre en avant pour les convaincre de la nécessité de soutenir la culture et en particulier les salles de cinéma ? Vincent Merlin lance les échanges en s’adressant à Nadège Lauzzana.

 

TRAVAILLER AVEC LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

a) Le pôle cinématographique d’Agen, un projet culturel de territoire

Nadège Lauzzana revient sur son parcours. Son aventure dans l’action culturelle a commencé au milieu des années 90. À cette époque, avec un groupe d’amis cinéphiles, elle avait sollicité les collectivités pour pouvoir programmer des films en version originale, venant d’autres horizons que celui du cinéma « mainstream ». Sans succès.  Nadège Lauzzana et son équipe ont finalement réussi à créer un ciné-club dans une salle municipale prêtée par la ville d’Agen. Cette salle est ensuite devenue un véritable établissement cinématographique art et essai, les Montreurs d’images.

Devenue adjointe à la culture à la mairie d’Agen, Nadège Lauzzana a travaillé sur un projet culturel, conçu comme un projet politique de territoire, qui a été validé par les Agenais et mis en œuvre au cours du mandat 2008-2014. Ce projet comprenait un théâtre conventionné, une salle de concert, un conservatoire de musique, une médiathèque, et attirait l’attention sur la nécessité de préserver une salle de cinéma en centre-ville. En effet, l’équipe municipale adverse avait porté le projet d’un multiplexe de 12 salles situé à l’extérieur de la ville, et associé à une zone commerciale. Une fois élue, l’équipe de Nadège Lauzzana a retravaillé ce projet en collaboration avec le promoteur du multiplexe, en le réduisant à 10 salles et en obtenant qu’il devienne la propriété de la ville au bout de 30 ans d’exploitation.

Concomitamment à la création du multiplexe, le cinéma art et essai et ses deux salles ont été construits dans l’ancienne école Jules Ferry, sur la même place du Pin en centre-ville d’Agen. Le multiplexe Cap Cinéma (devenu CGR) et les Studios Ferry exploités par les Montreurs d’Images ont été inaugurés ensemble en décembre 2013.

Ce projet culturel a ainsi été posé comme relevant d’une politique publique, offrant aux citoyens la possibilité de choisir entre différents lieux et types d’établissements, au sein d’un pôle cinématographique de 12 salles innervant toute l’agglomération (100 000 habitants), lui-même inscrit dans un nouveau quartier redessiné de sorte à favoriser l’attractivité et le lien social.

Ce pôle a fédéré un public fidèle, comme en témoigne la bonne reprise de la fréquentation des salles durant l’été 2020. Les Montreurs d’images ont aujourd’hui trois labels.

Ils programment 420 films par an et ont comptabilisé 64 600 entrées en 2019. Le CGR programme 317 films par an et a enregistré 325 000 entrées en 2019.

On peut même parler d’une véritable politique cinématographique à l’œuvre dans le département, favorisant la diffusion (en partenariat avec Écran 47, le groupement des cinémas associatifs du Lot-et-Garonne) et la création (avec le bureau des tournages du Lot-et-Garonne).

 

b) Le réseau des cinémas publics Est Ensemble

Vincent Merlin se tourne vers Alexie Lorca. Qu’est-ce qui a amené l’établissement public territorial Est Ensemble (ex-communauté d’agglomération) à assumer la gestion des équipements culturels, salles de cinéma, bibliothèques et conservatoires ? Cette compétence n’étant pas obligatoire, il s’agit d’un choix politique fort.

Alexie Lorca prend la parole. En effet, cette décision est celle de 9 villes (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Les Lilas, Le Pré-Saint-Gervais, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin et Romainville) qui ont décidé de s’associer au sein d’une nouvelle entité - Est Ensemble - avant que la loi ne les y oblige. Le projet culturel d’Est Ensemble s’inscrit dans une continuité : en effet, les politiques éducatives et culturelles constituent un noyau fort de l’histoire du département de la Seine-Saint-Denis. Dès les années 70, alors que les réseaux de salles de cinémas privés se désengageaient du territoire pour se concentrer sur Paris, les municipalités – majoritairement communistes – ont décidé de reprendre les cinémas, en régie directe ou via des associations, afin de mettre en place des politiques culturelles fortes.

Pour 415 000 habitants, Est Ensemble gère aujourd’hui 6 cinémas publics (13 écrans, sans tenir compte de l’établissement de 6 écrans en cours de construction à Bobigny)1. 600 000 spectateurs ont été accueillis en 2019. Dans chacun de ces cinémas, des agents effectuent un travail d’accompagnement afin de toucher les publics dits éloignés et de tendre à l’égalité dans l’accès à la culture. La raison d’être de ces salles n’est pas la rentabilité : elles peuvent diffuser des films fédérateurs, tout comme des films moins grand public, issus d’autres horizons géographiques et artistiques.

Cette politique culturelle a également pour but d’encourager les liens entre les différents équipements du territoire. À titre d’exemple, le Festival du film franco-arabe au Trianon permet de monter des projets globaux impliquant les théâtres et les centres sociaux.

Cette politique peut s’appuyer sur les nombreux artistes qui vivent sur le territoire d’Est Ensemble. À Montreuil, plus de 10 % de la population travaille dans les arts et la culture : un vivier très précieux, que les salles de cinéma permettent de rassembler et de faire dialoguer avec le reste de la population à travers des rencontres et des ateliers.

 

c) Le cas du cinéma associatif L’Ecran (Saint-Denis)

Vincent Merlin donne la parole à Boris Spire, directeur de L’Écran à Saint-Denis. L’histoire de L’Écran s’inscrit dans l’évolution que vient de décrire Alexie Lorca. Cependant, de par son statut associatif, il n’est pas directement géré par la collectivité. Qu’est-ce que ce statut change dans le rapport entre la salle et la collectivité territoriale ?

Boris Spire salue le fait de rencontrer des élues investies et convaincues de la nécessité d’encourager les politiques culturelles. C’est plus que jamais indispensable dans la période actuelle. En effet, les nouveaux élus qui arrivent aux responsabilités dans les villes ont besoin d’être informés, préparés, pour que le dialogue avec les salles soit maintenu et fertile.

L’Écran est une salle financée à 60 % par de l’argent public et à 40 % par la billetterie. La convention signée avec la ville de Saint-Denis comprend une liste de missions qui doivent être honorées par la salle. Ces missions sont les mêmes que pour les cinémas municipaux : animer les projections, faire de l’éducation à l’image, nourrir des liens avec le tissu associatif local, appliquer une tarification plus basse que celle du privé. Ce qui différencie une salle associative d’une salle municipale c’est probablement le lien, plus distendu, qu’elle entretient avec la collectivité territoriale. Cela permet peut-être de prendre des initiatives plus rapidement. Mais ce qui importe dans les deux cas, c’est le lien de confiance qui se crée entre la salle et la ville : cette confiance donne à la salle l’autonomie nécessaire à l’avancement du travail.

 

d) En Nouvelle-Aquitaine, une tradition de dialogue avec les collectivités

Rafaël Maestro, lui, est à la tête de deux associations de salles travaillant en lien avec les collectivités territoriales, l’une départementale (le réseau de salles Ciné-Passion en Périgord) et l’autre régionale (CINA, les Cinémas indépendants de Nouvelle-Aquitaine). Vincent Merlin lui demande de faire part de son expérience. Quelle est la nature du dialogue entre ces associations territoriales représentatives et les élus locaux ? Comment se faire entendre et influer sur les politiques menées ?

Rafaël Maestro rappelle le travail de ses prédécesseurs en Nouvelle-Aquitaine, qui à l’époque de la décentralisation ont su mobiliser l’attention des élus pour que les cinémas de la région se modernisent et se regroupent, afin de mieux se faire entendre. Son action au quotidien s’apparente à un mélange de lobbying et de travail technocratique. Il s’agit d’un côté de faire valoir aux élus l’intérêt de la salle de cinéma, première pratique culturelle des Français, et de l’autre de rappeler aux exploitants la nécessité de se moderniser et de mener une politique partenariale ambitieuse.

Historiquement, il est évident qu’après la chute de fréquentation des cinémas dans les années 80, la reprise a été impulsée par les cinémas publics et parapublics. Les territoires qui paraissent aujourd’hui moins matures que d’autres sur le plan de la politique culturelle sont probablement ceux où les élus n’ont pas fait preuve de la même attention qu’ailleurs, et où les exploitants n’ont pas su (ou pu) rappeler l’importance du maillage territorial dans la diffusion culturelle. Il faut donc essayer d’avoir une bonne perception des enjeux afin de porter aux élus un message simple, qui fasse état des problématiques mais donne aussi des éléments de réponse. Dans cette perspective, la double connaissance du fonctionnement d’une collectivité territoriale et des réalités des salles de cinéma est un atout.

Aujourd’hui, les exploitants font face à une urgence : la survie de leurs cinémas. Celle-ci doit passer par un renforcement de l’attractivité des salles, un meilleur accès aux films et le travail de médiation. L’enjeu est de convaincre les pouvoirs publics de l’utilité des salles, sachant que le maillage des collectivités territoriales rend la tâche complexe : les régions qui signent des conventions avec le CNC ; les départements qui en vertu de la loi NOTRe2 peuvent mobiliser un soutien en investissement et en fonctionnement ; et enfin les communes et les intercommunalités, ces dernières ayant rarement des compétences en matière de culture. C’est toute cette organisation qu’il convient de mettre à plat pour rendre les messages plus visibles et faciliter les initiatives.

 

UN CONTEXTE DE CRISE

Vincent Merlin en vient à la crise sanitaire et économique actuelle : dans quelle mesure les acteurs culturels vont pouvoir convaincre les pouvoirs publics de débloquer des moyens supplémentaires pour la culture en général et pour le cinéma en particulier ?

a) Les salles comme facteur d’attractivité du territoire

Pour Nadège Lauzzana, il faut interpeler les élus en les invitant à observer la réalité : aujourd’hui, les populations des territoires denses songent à migrer vers des territoires moins denses. Il est donc crucial de rendre ces territoires vivants et attractifs. Le cinéma, au même titre que l’immobilier, le tissu économique, l’éducation et l’accès à la technologie numérique, fait partie de ce processus. Territorialiser un cinéma exigeant en termes de programmation et de médiation, c’est l’inscrire dans une boucle vertueuse d’attractivité du territoire. La salle des Montreurs d’images à Agen porte cette idée-là : c’est un lieu culturel pluridisciplinaire qui est un lieu de sociabilité globale.

Nadège Lauzzana regrette de ne pas avoir encore pu hisser la compétence culture au niveau de l’agglomération, comme c’est le cas à Est Ensemble. Le nombre croissant de communes (passé de 7 à 31 en 10 ans) contraint à avancer à petits pas ; pour le moment, elle n’a pu qu’initier des « projets partagés de territoire ». Il faut faire un travail de conviction et d’accompagnement dans le temps, afin que les élus intègrent cette question comme une nécessité vitale pour le territoire.

 

b) Le marqueur d’un projet de société

Alexie Lorca prend la parole. La culture est un marqueur très fort d’un projet de société. Dans ses dernières interventions, le Président de la République n’a pas parlé de culture. Quand l’Etat propose des aides pour compenser les pertes financières des salles de cinéma causées par la crise sanitaire, il en exclut les salles publiques en régie directe, demandant aux collectivités de les assumer. Voilà des choix politiques qui nous orientent vers un certain projet de société. Depuis plusieurs années, l’Etat cherche à ramener les collectivités territoriales à leurs compétences dites obligatoires, dont la culture ne fait pas partie. Cette exclusion est alarmante, car la culture en tant qu’outil d’émancipation individuel et collectif est un moteur de la société, au même titre que l’éducation et la santé. Son soutien doit donc être assumé par les différentes strates des pouvoirs publics.

 

c) Le constat et les propositions de l’AFCAE

Vincent Merlin se tourne vers Rafaël Maestro. Au moment de la réouverture des salles de cinéma à la sortie du premier confinement, l’AFCAE a proposé une dizaine de mesures pour orienter la reprise. Ces mesures rappellent notamment les missions essentielles que sont l’éducation aux images et l’accompagnement des films et des publics. Mais, comme le souligne François Aymé, président de l’AFCAE, dans son dernier édito, « ce travail prend du temps, de l’énergie et demande des compétences. Autrement dit, il a un coût. » 

Rafaël Maestro est responsable du groupe des associations territoriales de l’AFCAE. Il précise les conditions de rédaction de ces propositions, préparées à la fin du mois de mai 2020 avant la réouverture des salles, et présente un diagramme qui les accompagnait, consacré à l’Évolution de la fréquentation cinématographique en France depuis 1945 (cf. page suivante). Ce diagramme montre qu’à chaque fois que le cinéma a été confronté à des bouleversement technologiques ou économiques, les politiques publiques l’ont soutenu et la fréquentation des salles a rebondi.

Il y a toujours eu des tensions plus ou moins latentes entre les salles de cinémas, en fonction de leurs statuts. À travers ces dix propositions, l’AFCAE invite à travailler ensemble sur des sujets communs. Certaines de ces propositions se situent sur un plan politique, d’autres sur un plan économique. Quelques unes ont été reprises par le CNC : par exemple, un fonds d’urgence pour un plan de relance, ou l’effacement de la dette Cinénum.

Faciliter l’accès aux films

Il faut faciliter l’accès aux films pour les salles indépendantes en renforçant les pouvoirs de la médiatrice du cinéma. Pour mémoire, le passage des salles à la projection numérique n’a pas eu les effets escomptés sur un accès amélioré aux films et les élus locaux qui s’étaient mobilisés financièrement ont pu avoir l’impression d’être dupés. Actuellement, les salles art et essai sont contraintes de faire des choix par défaut, car les plans de distribution les privent des exclusivités. Une nouvelle régulation, sous l’impulsion de la médiatrice, apparaît nécessaire. 

Des contrats d’objectifs et de moyens avec toutes les collectivités territoriales

Il faudrait également mettre en place des contrats d’objectifs et de moyens, impliquant des niveaux de collectivités territoriales différents. En effet, il peut y avoir un déséquilibre dans l’attention accordée au secteur par les collectivités, selon les territoires. Ce déséquilibre conduit à fragiliser les réseaux, et par conséquent les salles.

L’objet des conventions actuelles qui lient le CNC, l’État et les Régions est de formaliser l’architecture des différents soutiens financiers, en détaillant les interventions des différents pouvoirs publics et strates de collectivités. Mais beaucoup de Départements ne signent pas ces conventions car elles ne portent pas de fonds d’aide à la production, condition exigée pour être signataire.  Or certains Départements peuvent mener une politique cinématographique ambitieuse mais, n’étant pas en mesure de signer la convention, le soutien qu’ils apportent à certains opérateurs n’apparaît pas. C’est regrettable.

Aujourd’hui, le Conseil départemental de la Dordogne, l’un des plus pauvres de France, s’apprête à voter un soutien aux salles classées art et essai égal à l’euro près à celui accordé par le CNC. Si on ajoute à cela l’aide régionale de la Nouvelle-Aquitaine (s’élevant à la moitié de la somme allouée par le CNC), chaque salle art et essai de Dordogne va bénéficier d’un soutien multiplié par 2,5. Ce soutien est justifié par la nécessité de relancer l’activité des salles.

Avoir des moyens est une chose, mais les avoir collectivement et de manière transparente permettrait d’avoir une vision pour mieux construire, chacun à son échelle. Certes, ces contrats sont difficiles à mettre en place, mais la situation aujourd’hui l’exige. Les associations territoriales de salles sont un rouage essentiel dans cet édifice.

L’importance des médiateurs culturels

L’emploi, les compétences, la formation et leur développement : voilà des éléments cruciaux dans le soutien aux salles indépendantes. Frédérique Bredin, l’ancienne présidente du CNC, l’a entendu en lançant la création des postes de médiateurs culturels. Ces postes sont financés à 50 % par les régions, 25 % par le CNC, pour un reste à charge de 25 % pour les salles.

Les régions Auvergne Rhône-Alpes, Hauts-de-France et Nouvelle-Aquitaine ont été les premières à s’engager dans cette démarche. Pour mettre en place de telles initiatives, on constate que la capacité de dialogue des réseaux de salles avec les régions joue un rôle essentiel. En Nouvelle-Aquitaine par exemple, un groupement d’employeurs culture a permis de porter certains emplois ainsi qu’un volet formation (soutenu par l’association régionale CINA) : le concours de cette structure a été précieux pour permettre de déployer 20 postes de médiateurs qui travaillent actuellement sur le territoire de la région, dans 60 à 80 salles.

La médiation participe de la valeur ajoutée apportée par les salles. On observe que les salles qui bénéficient de postes de médiateurs obtiennent de meilleurs résultats de fréquentation sur leur programmation art et essai.

Avoir des médiateurs est une chose, mais il faut également repenser le management des équipes au sein des salles. La présence des médiateurs permet de professionnaliser les équipes et de donner une autre image d’elles-mêmes, en  montrant leur capacité à utiliser les nouveaux outils de communication, à porter des projets partenariaux avec l’ensemble des structures du territoire, ou à obtenir rapidement les films dits porteurs. Pour donner envie au public, pour le fidéliser, il faut lui envoyer des signaux. 

 

d) La nécessaire modernisation des salles

Boris Spire prend la parole. Sur quoi cette crise va déboucher ? L’avenir est très incertain. Dans ce contexte, les exploitants, parce qu’ils s’inscrivent dans la vie de la cité en réunissant des spectateurs devant des films choisis, font de la politique à leur manière. La salle représente une valeur ajoutée sociale, affective, culturelle. En ce sens, les lieux où elle accueille les spectateurs ont effectivement toute leur importance : il va falloir s’agrandir, se moderniser, ménager des espaces de discussion. La nécessité d’évoluer et de ne pas se reposer sur des acquis sont des éléments essentiels du message à faire passer aux élus. 

 

e) Le dialogue avec les distributeurs, un enjeu crucial 

Selon Boris Spire, parmi les 10 propositions de l’AFCAE, la question de l’accès aux films en 2ème semaine pour toutes les salles est essentielle. À la sortie du confinement, il est apparu que les pratiques des distributeurs avec les petites salles n’avaient pas vraiment changé. Si l’on veut que ces salles continuent à proposer une programmation diversifiée, les principes de négociation avec les distributeurs doivent impérativement évoluer, en abordant la question du nombre de séances et de la durée d’exploitation des films. Boris Spire se pose néanmoins le question de la place laissée aux films plus fragiles, si toutes les salles ont accès en deuxième semaine aux films les plus porteurs.

Rafaël Maestro réagit à la réflexion de Boris Spire sur l’accès aux films en 2ème semaine. Il invite à relire le rapport de l’AFCAE : pour ne pas éprouver le sentiment d’être sur un territoire de relégation, se réinventer face à la crise et être prêts quand le marché redémarrera, il est nécessaire de sortir des schémas du passé.

 

SANTÉ ET CULTURE

a) Faut-il opposer santé et culture ?

Vincent Merlin pose la question de la dissociation entre santé et culture, que met au jour la crise sanitaire actuelle. Aujourd’hui les équipements culturels, dont les salles de cinéma ou bien encore les librairies, sont fermés pour protéger la santé des citoyens. Des pétitions ont cependant été émises, demandant l’ouverture de ces équipements au public scolaire et périscolaire. Mais santé et culture, cinéma et santé, faut-il les opposer ?

Nadège Lauzzana rappelle qu’elle a une formation d’infirmière. C’est une donnée essentielle de son engagement, et aujourd’hui la santé fait partie de ses délégations en tant qu’élue. Elle a pour mission de favoriser un état de bonne santé pour les gens qui vivent sur le territoire dont elle a la charge. Participer à un conseil départemental de santé, c’est participer à un projet culturel de territoire : c’est un tout. La santé intègre la culture, qui participe à l’équilibre individuel et à la connexion avec un territoire. On parle de « sport santé », on devrait aussi parler de « culture santé ». Pour prendre un exemple, la manière dont on consomme aujourd’hui les écrans n’est pas sans liens avec l’addiction : il s’agit donc bien de santé.

À l’heure actuelle, les enfants sont retournés à l’école mais ne sont pas autorisés à faire des sorties de classe au cinéma. Ce n’est pas acceptable : l’éducation aux images doit faire partie des préceptes de l’enseignement. Certes, les livres, les films, le théâtre ne sont pas « essentiels », mais la question ne doit pas être posée dans ces termes. Les mots ont une grande importance et il convient de réfléchir à la manière dont on les utilise. Il faut s’interroger sur les pratiques et les modes de diffusion, mais tout mettre sous cloche n’est pas une solution. Il est nécessaire de revenir à une forme de complétude qu’il appartient à tous de faire vivre dans de bonnes conditions.

 

b) Les salles s’adaptent aux mesures sanitaires pour garder le lien avec les établissements, les enseignants et leurs élèves

Concernant les dispositifs d’éducation dans le contexte de la crise sanitaire, Rafaël Maestro évoque les mesures de sécurité qui, à la réouverture des salles, l’ont obligé à organiser des séances scolaires pour une classe unique (éventuellement deux classes, lorsque la salle disposait d’un balcon). Ces contraintes ont entrainé une démultiplication des séances et la nécessité est apparue de planifier les dispositifs. Puis les salles ont de nouveau fermé. Les crédits restants pour l’année en cours sont aujourd’hui utilisés pour organiser des interventions de professionnels du cinéma au sein des classes, ce qui est encore autorisé : la salle de cinéma peut continuer à exister, en se déplaçant dans les classes.

Vincent Merlin précise que Cinémas 93 réfléchit également, pour poursuivre son action malgré la situation, aux possibilités d’interventions dans les classes du département.

Alexie Lorca prend la parole. Dans cette situation très incertaine, les écoles et collèges doivent faire face à de nombreux problèmes. Pourtant, à chaque nouveau soubresaut, on leur demande d’être immédiatement réactifs. Mais l’Éducation nationale est une telle machine que cela rend les choses très difficiles. Aujourd’hui, les enfants vont à l’école, mais ce qui relève des pratiques culturelles ne peut plus se faire. Or la confrontation entre santé et culture n’a pas de sens : la santé est vitale, la culture est essentielle. Les bibliothèques, le théâtre et le cinéma ne sont-ils pas présents à l’hôpital ?

Face à la consommation des séries en ligne qui ne fait qu’augmenter pendant cette période de crise, il faut valoriser le rôle des salles de cinéma. Lors de la réouverture des salles de cinéma, le public a répondu présent et les séances qui proposaient des rencontres étaient complètes. C’est un signe positif.

Rafaël Maestro insiste : la réouverture prochaine des salles reste lourde d’enjeux, vis-à-vis de la communauté éducative et parce que, plus le temps passe, plus la salle de cinéma apparaît comme l’élément manquant dans la vie d’un film avec les jeunes générations.

Pour Nadège Lauzzana les salles de cinéma, comme tout établissement culturel, doivent créer du lien avec l’Éducation nationale. Mais elles sont tributaires du calendrier d’un ministère qui s’inscrit dans un temps beaucoup plus lent. Elles doivent donc travailler avec les établissements très en amont, pour créer une confiance qui permette ensuite une coordination plus efficace, notamment avec les élus.

Nadège Lauzzana rappelle ce que proposait Rafaël Maestro : un travail dans la durée qui repose sur des conventions d’objectifs, engageant les élus et obligeant à faire des bilans, à restituer. Un tel travail ne peut se faire sans la présence d’ambassadeurs du cinéma sur le territoire.


> RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES <


> LA VERSION PDF DE LA RESTITUTION 2020 <